Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Droits des magistrats honoraires

Fiche complète rédigée par Pierre Déjean


Drapeau Affaire C-41/23 (27/06/24) AV / Ministero della Giustizia,

L’arrêt et les parties  :

L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 26 janvier 2023, parvenue à la Cour le même jour.

les parties sont : Ministero della Giustizia – contre – AV, BT, CV, DW

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union 

Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée. Directive – 1999/70 – EN – EUR-Lex (europa.eu)

Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du … (europa.eu)

Droit Italien :

Article 106 de la Constitution.

Le regio decreto n. 12 – Ordinamento giudiziario (décret royal no 12, concernant le système judiciaire), du 30 janvier 1941, (GURI no 28, du 4 février 1941)

Le décret législatif no 116, tel que modifié par la legge n. 234 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2022 e bilancio pluriennale per il triennio 2022-2024 (loi no 234, concernant le budget de l’État pour l’année budgétaire 2022 et le budget pluriannuel 2022-2024), du 30 décembre 2021 (GURI no 310, du 31 décembre 2021, p. 1)

Faits et procédure :

Résumé  :

AV, BT, CV et DW sont des magistrats honoraires italiens. Les magistrats honoraires exercent leurs fonctions en dehors de leur activité principale.

Exerçant depuis plus de 16 ans, ils demandent que leur soit reconnu le même traitement économique et juridique que les magistrats ordinaires.

Leur recours a été rejeté et ils ont fait appel devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).

Cette juridiction pose des questions préjudicielles à la Cour.

Questions préjudicielles reformulées par la Cour :

Première question :

37 1 L’article 7 de la Directive 2003/88 et la clause 4 de l’accord cadre relatif au travail à durée déterminée s’opposent ils à une réglementation qui exclut le versement d’une indemnité et le bénéfice d’un régime de protection sociale obligatoire pour les magistrats honoraires ?

Principe de non-discrimination (clause 4)

1 Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

4. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiées par des raisons objectives.

Directive 2003/88, article 7

Congé annuel

1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.

Raisonnement de la Cour :

39 La Cour a jugé que la notion de travailleur à durée déterminée couvre le cas d’un juge de paix, nommé pour une durée limité et exerçant des fonctions ni marginales ni accessoires pour lesquelles il perçoit des indemnités. (Voir arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20EU:C:2022:263).

40 Les juges de paix sont des magistrats honoraires. Cette jurisprudence est donc susceptible de s’applique au cas d’espèce.

41 La clause 4 de l’accord cadre mentionne les conditions d’emploi. La Cour a constaté que ces conditions englobent les rémunération et les pensions fonction de la relation d’emploi.(exclusion des pensions légales de sécurité sociale). Le critère de la relation de travail est décisif pour déterminer si une mesure dépend de cette notion. (Voir arrêts du 20 décembre 2017, Vega González, C‑158/16EU:C:2017:1014, point 30, et du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20EU:C:2022:263, point 36)

42 Si le régime de protection sociale est fonction de la relation d’emploi, il relève de la clause 4.

43 Les conditions d’emploi englobent également les indemnités versées durant les congés.

44 La clause 4.1 est une expression particulière du principe de non-discrimination. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, sauf raison objective. (voir arrêt du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens), C‑658/18EU:C:2020:572, point 141)

45 la recherche d’une situation comparable s’effectue en fonction de facteurs tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions de travail.

46-49 Selon la juridiction de renvoi, il existe des différences entre les régimes juridiques applicables aux magistrats en cause par rapport aux magistrats ordinaires (nomination, durée théoriquement temporaire, types d’affaires traitées et rémunération spécifique). Cependant, ces magistrats ont les mêmes obligations et responsabilités, sont soumis aux mêmes contrôles et exercent une activité juridictionnelle. Dans ces conditions, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si les requérants sont en situation comparable. La Cour rappelle à cet égard que la différence de traitement invoquée concerne la privation de toute indemnité et du bénéfice de la protection sociale.

50 Il convient de vérifier s’il existe des raisons objectives à cette différence de traitement.

51 L’inégalité doit être justifiée par des éléments précis et concrets, dans le contexte de l’affaire, sur le fondement de critères objectifs et transparents. Cette inégalité doit répondre à un besoin véritable, être apte à atteindre l’objectif poursuivi et être nécessaire à cet effet. Les éléments constatés peuvent résulter de la nature particulière des tâches ou des caractéristiques inhérentes à celles ci ou d’un objectif de politique sociale.

52 Selon les critères précédents, les objectifs poursuivis qui reflètent des différences d’exercice professionnel peuvent constituer une raison objective au sens de la clause 4.1 et 4.4. Les différences entre les procédures de recrutement paraissent indiquer une nature particulière des tâches et un niveau différent de qualification.

53-54 L’existence d’un concours initial permet d’exclure que les magistrats honoraires puissent bénéficier intégralement des droits des magistrats ordinaires mais l’exclusion de tout droit ne saurait être justifiée au regard de la clause 4.

56 D’autre part, selon la Directive 2003/88, les Etats membres ne peuvent pas subordonner à quelque condition que ce soit, la constitution du droit à congé payé.

58 La différence de traitement en cause n’est donc pas apte à atteindre l’objectif poursuivi et n’est pas nécessaire à cet effet.

Réponse de la Cour :

59 L’article 7 de la directive 2003/88 et la clause 4 s’opposent à une réglementation nationale qui exclut les magistrats honoraires du bénéfice de tout droit à indemnité et au bénéfice d’un régime de protection sociale.

Deuxième question :

60 La clause 5 de l’accord cadre s’oppose t’elle à une réglementation prévoyant des renouvellements successifs des rapports de travail sans que soient prévu des sanctions effectives et dissuasives ?

Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive (clause 5)

1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes:

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail;

62 Si les États membres disposent d’une liberté d’appréciation relativement aux mesures de prévention des abus, ils ne peuvent pas remettre en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord cadre (jurisprudence constante).

63 Les raisons objectives (clause 5.1.a) visent des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée, circonstances résultant de la nature particulière des tâches, de leurs caractéristiques ou d’un objectif légitime de politique sociale.

64-65 L’accord cadre est fondé sur la prémisse que la relation de travail à durée indéterminée est la forme générale des relations de travail. Ceci exclut le renouvellement de relations à durée déterminée pour couvrir des besoins permanents. Il doit être vérifié concrètement qu’une disposition nationale n’est pas utilisée pour satisfaire des besoins permanents.

66 Selon les informations dont dispose la Cour, les dérogations réglementaires aux règles qui cantonnent la durée des fonctions et le renouvellement des magistrats honoraires, ne prévoient pas de mesures légales équivalentes au sens de la clause 5.1 ou la possibilité de transformer la relation de travail en relation à durée indéterminée.

67-71 Selon le gouvernement italien, il y a « raisons objectives » car les renouvellements auraient été nécessaires dans l’attente d’une réforme structurelle de la magistrature. La continuité de l’administration est un objectif légitime. Cependant, le nombre de renouvellements semble montrer que les relations a durée déterminée couvrent des besoins permanents. Par ailleurs, la Cour à jugé que la clause 5.1 s’oppose à une réglementation qui permet 3 renouvellements successifs pour une durée maximale totale de 16 années et qui ne prévoit pas de sanction effective et dissuasive des renouvellements abusifs (voir arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens) (C‑236/20EU:C:2022:263) précité)

72 La réglementation en cause n’est pas justifiée par une raison objective au sens de la clause 5.

Réponse de la Cour :

74 La clause 5.1 de l’accord cadre s’oppose à une réglementation qui prévoit des renouvellements successifs sans contenir de sanctions effectives ou dissuasives ou la transformation des relations de travail en relations à durée déterminée.

1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.

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