Interdiction de transformation des contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée


FICHE COMPLÈTE , par Pierre Déjean


Affaire C-278/23 (08/01/24) M.M./Ministero della Difesa EUR-Lex – 62023CO0278 – EN – EUR-Lex (europa.eu)

L’arrêt et les parties :

L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 27 avril 2023, parvenue à la Cour le 28 avril 2023 les parties sont : Ministero della Difesa contre M.M. Ayant droit de M.R. plaignant

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union :
DIRECTIVE 1999/70/CE DU CONSEIL du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée.

Droit Italien :
Décret législatif no 66, sur le code du droit militaire), du 15 mars 2010 « décret législatif 66/2010 » (GURI no 106, du 8 mai 2010).
L’article 1er du Decreto ministeriale du 20 décembre 1971« décret ministériel de 1971 » (GURI no 322, du 15 décembre 1973, p. 8211).
L’article 1er du decreto legislativo n. 368 Attuazione della direttiva 1999/70/CE (GURI no 235, du 9 octobre 2001).
Article 36 du decreto legislativo n. 165 – Norme generali sull’ordinamento del lavoro alle dipendenze delle amministrazioni pubbliche du 30 mars 2001 (supplément ordinaire à la GURI no 106, du 9 mai 2001)

Faits et procédure :

Résumé :
De 1987 à 2007, M.R a enseigné l’électronique et la télécommunication (matières non
militaires auprès de l’armée de l’air italienne. Ses CDD ont été renouvelés d’année en année et depuis 2004 de semestre en semestre.

M.R a introduit un recours devant le Tribunal de Rome visant l’illégalité de la conclusion de ces contrats et demandant des dommages et intérêts.
Cette juridiction a prononcé l’illégalité de ces contrats car il ne spécifiaient pas de raisons technique organisationnelles de remplacement ou de production susceptibles de justifier leur durée déterminée. Le tribunal a également condamné le ministère a verser 15 mois de salaire à titre d’indemnités.
Le ministère a fait appel, évoquant le fait qu’il s’agissait d’une relation de travail indépendant.
La Cour d’Appel a confirmé le jugement de première instance : la relation de travail est ici une relation de travail salarié. Elle en a tiré des conséquence au niveau des indemnités de licenciement. Elle a cependant jugé que la relation en cause était de nature particulière régie par des règles spéciales.
La Cour de Cassation confirme l’existence d’une relation de travail salarié. Cependant en ce qui concerne l’illégalité de la conclusion de CDD successifs, M.R aurait seulement droit à la réparation d’un préjudice. La transformation en relation à durée déterminée est exclue (article 36 §5 du décret législatif n° 1641).
Par ailleurs la Cour de Cassation pose deux questions préjudicielles qui sont reformulées en une seule par CJUE.

Question préjudicielle re formulée par la Cour :

La clause 5 de l’accord-cadre s’oppose t’ elle à une réglementation qui exclut le personnel civil chargé d’un enseignement non militaire des règles qui sanctionnent le recours abusif à des CDD successifs ? Les exigences d’organisation des écoles militaires peuvent elles être qualifiées de raisons objectives au sens de la clause 5 point 1 a) ? Mesures visant . pr.venir l’utilisation abusive (clause 5)
Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée détermine successifs, Les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes:
a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail…

Raisonnement de la Cour :

36 Le champ d’application de l’accord-cadre doit être entendu largement (libellé de la clause 2 point 1). La clause 3 point 1 n’opère pas de distinction selon la qualité publique ou privé de l’employeur.


1 Cité dans le « le droit applicable au litige ».
2 Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné


39 La clause 5 de l’accord-cadre a pour but d’encadrer le recours successif aux CDD en prévoyant des dispositions protectrices minimales destinées à éviter la précarisation.

40 L’alinéa 2 du préambule de l’accord-cadre et les points 6 à 8 des considérations générales précisent que ce n’es que « dans certaines circonstances » que les CDD peuvent répondre aux besoins des travailleurs et de employeurs.

41 Afin de prévenir l’utilisation abusive des contrats ou relations de travail à durée déterminée, la clause 5 impose « l’adoption effective et contraignante » d’une des 3 mesures qu’elle énumère au point 1 a) à c). Ceci dans la mesure où le droit interne ne contient pas de dispositions équivalentes.

42 Dans ces domaines, les États membre disposent d’une marge d’appréciation. Ils sont tenus par un objectif général mais ils ont le choix des moyens, « pour autant qu’ils ne remettent pas en cause l’objectif ou l’effet utiles de l’accord-cadre. »(voir arrêt du 25 octobre 2018 Sciotto, C-331/17, EU:C:2018:859 point 38).

44 La clause 5 de l’accord-cadre ne prévoit pas de sanctions spécifiques. C’est aux autorités nationales d’adopter des sanctions proportionnées effectives et dissuasives.

45-46 Une règle nationale sanctionnant le recours abusif aux CCC par une transformation en CDI peut être considérée comme une mesure sanctionnant effectivement un recours abusif. Cependant, il n’y a pas d’obligation générale sur ce point : la clause 5 point2 laisse aux États le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les CDD peuvent être considérés comme conclus à durée déterminée

47-48 Si une réglementation interdit la transformation, elle doit comporter une autre mesure pour être conforme à l’accord-cadre. Un cumul de mesures n’est pas imposée aux États (droit à réparation venant s’ajouter à la transformation).

49 Le principe de proportionnalité impose une réparation adéquate (non symbolique mais
n’excédant pas une compensation intégrale.

50 La clause 5 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne sanctionne pas la non transformation par une indemnité compensatoire mais qui cependant prévoit l’octroi d’une indemnité entre 2,5 et 12 mensualités de la dernière rémunération. Octroi assorti de la possibilité d’obtenir une réparation intégrale sous réserve de la démonstration de perte d’opportunités. Il convient que cette réglementation soit assortie d’un mécanisme de sanction « effectif et dissuasif ».

51 L’absence de mesure effective ayant pour but d’éviter ou de sanctionner des abus porterait atteinte à l’objectif et à l’effet utile de la clause 5.

53 La réglementation nationale concernant le recrutement dans les écoles militaires ne prévoit aucune des mesures figurant dans l’accord-cadre en ce qui concerne la durée maximale des relations ou contrats à durée déterminée successifs et le nombre des renouvellements. De plus, les CDD conclus dans le domaine de l’enseignement ne peuvent être requalifiés en CDI.

54 Il convient alors de vérifier si le recours à des CDD successifs est justifié par des raisons objectives (clause 5 point 1 a) et si la nature particulière des écoles de la marine et de l’aéronautique militaire ainsi que les compétences spécifiques des enseignants employés constituent de telles raisons.

56 La notion de raison objective vise des « circonstances précises et concrètes » caractérisant une activité déterminée. Il peut s’agir notamment de la nature particulière des taches de leurs caractéristiques ou de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale. Elles sont de nature à justifier dans un contexte l’utilisation de CDD successifs.(voir arrêt précité Sciotto, Point 39 et Arrêt du 13 janvier 2022, C-282/19, EU:C:2022:3 ,point 93).

57 Une réglementation nationale autorisant le recours à des CDD successifs de manière générale et abstraite n’est pas conforme aux exigences du point précédent. La Cour évoque plusieurs inconvénients de cette méthode et conclue qu’une telle réglementation n’est pas compatible avec l’effet utile de l’accord-cadre.

58-60 Un programme annuel de cours entraînant des besoins provisoires peut, en principe, constituer une raison objective. Mais des CDD ne peuvent être renouvelés pour assurer « de manière permanente et durable…des tâches qui relèvent de l’activité normale du secteur. Ce dernier point doit être concrètement vérifié.

61 Si l’enseignement des données militaires est un objectif digne de protection constitutionnelle ; il ne ressort pas du dossier que la poursuite de cet objectif exigerait l’emploi de personnel uniquement à durée déterminée. D’une part les matières enseignées ne sont pas militaires, d’autre part une fidélisation du personnel par des CDI semble « plus adapté en termes de protection de données sensibles ».
62-63 Il ne ressort pas du dossier que les matières enseignées sont spécifiques et que les
connaissances exigées du personnel soient provisoire. M.R a accompli des taches similaires
de longues années. Elle pourrait donc satisfaire un besoin durable et non provisoire. Cela doit être vérifié par la juridiction de renvoi.

Réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour dit pour droit :

« La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant
l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui exclut le personnel civil, chargé de l’enseignement de matières non militaires dans les écoles militaires, de l’application des règles visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée successifs, pour autant que cette réglementation ne comporte pas d’autre mesure effective pour éviter et, le cas échéant, sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs. Des motifs relatifs aux exigences d’organisation de ces écoles ne sont pas susceptibles de constituer des « raisons objectives » justifiant le renouvellement de tels contrats avec de tels personnels chargés de l’enseignement de telles matières, au sens de la clause 5, point 1, sous a), dudit accord-cadre. »

Votre commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *