Port visible de signes philosophiques ou religieux – discriminations – (religion ou convictions)


Fiche complète rédigée par Pierre Déjean


Drapeau Belge Affaire C-148/22  (28/11/2023) OP/Commune d’Ans EUR-Lex – 62022CJ0148 – EN – EUR-Lex (europa.eu)

L’arrêt et les parties  :

L’arrêt concerne une demande au titre de l’article 267 TFUE. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail

les parties sont : La Commune d’Ans contre OP plaignante

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union 

DIRECTIVE 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32000L0078

Droit belge :

Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (Moniteur belge du 30 mai 2007, p. 29016), transposant la directive 2000/78 dans le droit belge

Faits et procédure :

Résumé  :

La requérante travaille en tant que « chef de bureau » sans contact avec les usagers. Le 8 février 2021 elle a demandé de porter le voile dans son travail.

Le collège communal a rejeté cette demande. Il a interdit provisoirement à la requérante de porter des signes révélant ses convictions jusqu’à l’adoption d’une réglementation général au sein de l’administration communale.

Le 26 février 2021 le conseil communal a modifié le règlement de travail. Il y a inséré une obligation de « neutralité exclusive » sur le lieu de travail. L’ensemble des travailleurs de la Commune ne peut ainsi porter aucun signe visible révélateur de convictions notamment religieuses ou philosophiques.

Cette interdiction s’applique qu’ils soient ou non en contact avec le public.

S’estimant discriminée en raison de sa religion, la requérante a engagé plusieurs procédures contre les décisions individuelles la concernant et contre le nouveau règlement, en vue de faire constater que sa liberté religieuse avait été violée.

Questions préjudicielles re formulées par la Cour :

Première question

211 L’article 2, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 2000/78 doit il être interprété « en ce sens qu’une règle interne d’une administration communale interdisant, de façon générale et indifférenciée, aux membres du personnel de cette administration le port visible, sur le lieu de travail, de tout signe révélant, notamment, des convictions philosophiques ou religieuses peut être justifiée par la volonté de ladite administration d’instaurer un environnement administratif totalement neutre. »

Justification de la réponse de la Cour :

22 La notion de religion mentionné dans l’article 1 de la directive 2000/78 couvre à la fois le fait d’avoir des convictions et le fait de les manifester.en public. Religions et convictions s’analysent comme « les deux faces d’un même et unique motif de discrimination ».

23 La directive précitée s’applique dans le secteur public ce qui comprend au delà de l’Etat 2 les organismes publics. Une disposition d’un règlement communal interdisant le port visible de signes de convictions, relève des « conditions d’emploi et de travail » au sens de l’article 3§1c) de la directive.

24 La question de la juridiction de renvoi vise aussi l’article 2§2b) relatif à la discrimination indirecte.

25 Une règle interne qui interdit sur le lieu de travail le port de tout signe visible (philosophique ou religieux) ostentatoire et de grande taille peut constituer une discrimination directe au sens de l’article 2§2 a). Le port de ces signes doit être indissociablement lié aux religions et convictions.

26 par contre l’interdiction du port de tout signe visible n’est pas constitutif d’une discrimination directe. Il faut cependant qu’elle vise indifféremment toute manifestation pour tous les travailleurs en imposant une neutralité vestimentaire.

27 Si la règle est appliquée de manière indifférenciée, elle n’instaure pas de différence de traitement.

28 La juridiction de renvoi peut constater que d’autres travailleurs ont été autorisés à manifester leurs convictions et religions. Dans ce cas il y discrimination directe. Dans le cas contraire, la juridiction nationale devra examiner si la plaignante subit un désavantage particulier fondant une discrimination indirecte au sens de l’article 2§2 b).

29 L’interdiction de tout signe constitue une discrimination indirecte s’il est établi que cette interdiction, « en apparence neutre3 » aboutit à un désavantage particulier pour des personnes adhérant à une religion ou des convictions en particulier.

30 Il n’y a pas discrimination indirecte s’il y a un objectif légitime et des moyens nécessaires et appropriés pour le réaliser (article 2§2 b)i).

32 Selon la Commune d’Ans, l’interdiction de tout signe pour le personnel, qu’il soit ou non en contact avec le public, «a pour objectif de mettre en œuvre le principe de neutralité du Service Public. Ce principe trouve son fondement dans les articles 10 et 11 de la Constitution belge.

33 Chaque État membre et ses entités infra-étatiques doivent se voir reconnaître « une marge d’appréciation dans la conception de la neutralité du Service Public ». La politique de « neutralité exclusive », imposée en fonction du contexte, « peut être considérée comme étant objectivement jusifiée par un objectif légitime (article 2 §2 b) i)). Une autre collectivité peut faire le choix d’une autre politique de neutralité, la limitant aux situations de contact avec les usagers.

34 La directive 2000/78 n’établit en effet qu’un cadre général qui laisse un marge d’appréciation aux Etats membre en l’absence de consensus au niveau de l’Union. Cette marge d’appréciation doit aller de pair avec un contrôle juridictionnel qui permet de vérifier si les mesures prises « se justifient dans leur principe et si elles sont proportionnées ».

36 L’article 9 du règlement communal en cause poursuit donc un objectif légitime.

37 La règle interne doit assurer la bonne application de l’objectif poursuivi. Donc il doit l’être de manière cohérente et systématique et se limiter au strict nécessaire.

38 La Commune doit poursuivre cette politique à l’égard de tous les travailleurs.

39 L’environnement administratif totalement neutre implique de n’admettre aucune manifestation visible qui compromettrait l’aptitude de la mesure à atteindre l’objectif poursuivi et remettrait en cause la cohérence de la politique menée.

40 La juridiction nationale devra pondérer les intérêts en présence en tenant compte d’une part du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (articles 10 et 21 de la Charte des droits fondamentaux) et d’autre part du principe de neutralité.

Réponse de la Cour :

« [… ] il convient de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’une règle interne d’une administration communale interdisant, de façon générale et indifférenciée, aux membres du personnel de cette administration le port visible, sur le lieu de travail, de tout signe révélant, notamment, des convictions philosophiques ou religieuses peut être justifiée par la volonté de ladite administration d’instaurer, compte tenu du contexte qui est le sien, un environnement administratif totalement neutre pour autant que cette règle soit apte, nécessaire et proportionnée au regard de ce contexte et compte tenu des différents droits et intérêts en présence.  »

42 à 50 Le deuxième question porte sur le fait de savoir si l’article 2 §2 a) et b) permet d’organiser un environ totalement neutre lorsqu’il concerne une majorité d’employées féminines. Il y aurait alors discrimination fondée sur le sexe.

La Cour rejette cette question au moyen de deux arguments :

Le motif évoqué relève du champ d’application de la directive 2006/54

La décision de renvoi ne comporte pas d’indications  permettant de déterminer l’hypothèse factuelle qui fonde la deuxième question et les motifs pour lesquels une réponse à la question serait nécessaire à la solution du litige principal.

1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.

2Ajouté par le rédacteur de la fiche.

3Le texte « entre guillemets » relate toujours in extenso les termes employés par la Cour.

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