Fiche complète, par Pierre Déjean
Affaire C 113/22 du 14/09/23 DX / INSS 1 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:62022CJ0113
L’arrêt et les parties (1 et 2) :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 79/7/CEE relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.
les parties sont :
L’INSS et la TGSS : respectivement Institut National Espagnol de la Sécurité Sociale et la Trésorerie Général de la Sécurité Sociale.
DX désigné dans l’arrêt comme le plaignant.
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union (pt 3 à 8) :
Directive 79/7 du 19/12/1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale 2 Sécurité sociale: égalité de traitement entre les femmes et les hommes (europa.eu)
Droit espagnol (pt 9 à 13) :
Ley General de la Seguridad Social, art 53 ( ci-après dénommé LGSS) ; Ley organica 3/2007 (égalité hommes femmes), art 10 ; Ley reguladora de la juridiccion social, art 183 ; Critério de Gestion 1/2020 (document de gestion de l’INSS).
Faits et procédure :
Résumé :
14 DX (deux enfants) s’est vu reconnaître une pension d’invalidité par l’INSS le 10/11/2018.
15 Le 10/10:2020, DX réclame à l’INSS la reconnaissance d’un droit complémentaire à pension pour les mères, sur le fondement de l’arrêt de la CJUE du 12/12/2019 qui a sanctionné comme discriminatoire, l’article 60 de la LGSS, réservant ce seul droit aux femmes.
16 L’INSS a rejeté cette demande le 17/11/2020.
17 Suite à un recours de DX, le Tribunal du Travail de Vigo a reconnu le droit à un complément de pension. Il a cependant rejeté la demande d’indemnisation.
18 DX et l’INSS se pourvoient contre ce jugement devant la Cour Supérieure de Justice de Galice. Cette juridiction pose des questions préjudicielles à la Cour.
Questions préjudicielles reformulées par la CJUE :
… 37 L’article 6 de la directive 79/7 doit elle être interprétée en ce sens quel le juge national doit enjoindre à L’INSS auteur de la décision de rejet d’une demande de complément de pension par un homme, d’accorder non seulement le complément de pension mais également de dommages et intérêts ainsi que le remboursement d’honoraires d’avocat ?
Sachant que ce rejet se fondait sur une réglementation déjà été déclarée discriminatoire par la Cour et qu’elle est provisoirement maintenue par un document de gestion de l’INSS.
Article 6 Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par la non-application du principe de l’égalité de traitement de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d’autres instances compétentes.
Justification de la réponse de la Cour :
40 Avant la décision de renvoi par la Cour Supérieure de Justice de Galice, La Cour Suprême espagnole avait décidé que le complément de pension accordé aux hommes devait l’être dès la date d’accession à la pension avec effet rétroactif.
La juridiction de renvoi devra au moins reconnaître le droit à complément de pension avec effet retro actif au jour de l’accession à la pension. C’est la prémisse sur laquelle se fondent les questions préjudicielles.
41 Selon une jurisprudence établie de la Cour, lorsqu’une discrimination a été constatée le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes discriminées des mêmes avantages que les personnes favorisées. Le juge est tenu tenu d’écarter les dispositions en cause sans demander ou attendre leur élimination par le législateur.
42 Cette obligation incombe aux juridictions, à tous les organes de l’État y aux autorités administratives chargées d’appliquer le régime concerné.
45 La juridiction de renvoi souligne que l’INSS ne fait pas seulement application d’une réglementation sanctionnée par la Cour comme discriminatoire (point 15) mais aussi d’une règle de gestion interne (Criterio de Gestión 1/2020). Cette règle prévoit que le complément de pension reste accordé uniquement aux femmes sauf dans le cas où le demandeur masculin aurait obtenu une décision de justice définitive reconnaissant son droit.
46 Cette règle est susceptible d’entrainer une discrimination spécifique issue de conditions procédurales imposées seulement aux hommes. Ceci indépendamment de la discrimination directe issue de la réglementation déjà sanctionnée par la Cour.
47 L’égalité sera évidemment rétablie mais les demandeurs masculins se voient imposer des délais et des dépenses inhérentes à cette voie judiciaire.
48 L’article 6 de la directive 79/7 prévoit que les États membres son tenus d’introduire dans leur ordre juridique les mesures nécessaires pour permettre à toute personne lésée de faire valoir ses droits (recours aux instances compétentes et voie juridictionnelle si nécessaire).
49 Ces mesures doivent atteindre efficacement un objectif d’égalité des chances effectives. Elles doivent donc rétablir l’égalité par une protection juridictionnelle effective et efficace avec effet dissuasif réel.
50 Lorsque la réparation pécuniaire est retenue eu égard aux caractéristiques de la violation du principe d’égalité, elle doit permettre de compenser intégralement le préjudice. (voir, en ce sens, arrêts du 2 août 1993, Marshall, C‑271/91, EU:C:1993:335, points 25 et 26, ainsi que du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C‑407/14, EU:C:2015:831, points 32 et 33).
51 Les dommages et intérêts doivent être à même de garantir une réparation intégrale de manière dissuasive et proportionnée.
52 La décision de L’INSS entraîne une discrimination liée au conditions matérielles de l’octroi de complément mais également une discrimination liée au conditions procédurales de cet octroi.
Le juge ne saurait donc se limiter à reconnaître seulement le droit à pension avec effet rétroactif.
… 54 Le plaignant doit pourvoir bénéficier d’une réparation pécuniaire adéquate compensant intégralement le préjudice subi.
55 Cette compensation doit se faire selon les règles nationales applicables. En l’occurrence, il existe une législation nationale (article 183 de la Ley 36/2011) qui prévoit une telle indemnisation.
56 Les dépens et honoraires d’avocat provoquées par l’application des conditions procédurales discriminatoires doivent pouvoir être pris en compte.
… 59 L’article 183 précité permet à la juridiction de renvoi d’accorder une réparation pécuniaire intégrale comprenant les dépens et honoraires. Il appartient cependant au juge national de vérifier ce point.
60 La jurisprudence de la Cour (citée au point 50), prévoit que la couverture des dépens et honoraires fait partie intégrante de la réparation due au plaignant dans le cadre de la violation du principe d’égalité. Une règle procédurale nationale interdisant de condamner aux dépens, en matière de droit du travail l’organisme responsable de la discrimination n’est pas applicable en ce domaine .
61 Si l’ordre juridique interne est compétent pour définir les modalités et l’étendue de la réparation, ces modalités ne sauraient porter atteinte à la substance même de cette réparation.
Réponse de la Cour
La directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, et notamment son article 6,
doit être interprétée en ce sens que :
lorsqu’une demande d’octroi d’un complément de pension, introduite par un affilié masculin, a été rejetée par l’autorité compétente en vertu d’une réglementation nationale limitant l’octroi de ce complément aux affiliés féminins, alors que cette réglementation est constitutive d’une discrimination directe fondée sur le sexe au sens de la directive 79/7, telle qu’interprétée par la Cour dans un arrêt préjudiciel prononcé antérieurement à la décision de rejet d’une telle demande, le juge national, saisi d’un recours contre cette décision, doit enjoindre à cette autorité non seulement d’accorder à l’intéressé le complément de pension demandé, mais également de lui verser une indemnisation permettant de compenser intégralement les préjudices qu’il a effectivement subis du fait de la discrimination, selon les règles nationales applicables, en ce compris les dépens et les honoraires d’avocat qu’il a exposés en justice, dans le cas où ladite décision a été adoptée en conformité avec une pratique administrative consistant à continuer d’appliquer ladite réglementation en dépit de cet arrêt, obligeant ainsi l’intéressé à faire valoir en justice son droit audit complément.
1Les numéros figurant par la suite en gras sont ceux adoptés par la CJUE dans le déroulé de l’arrêt.
2Compte tenu de son importance pour la résolution du litige cette directive n’es pas résumée.