Fiche complète – Par Pierre Déjean
Affaire C-270/22 (30/11/2023) G.D. e.a. / Ministero dell’Istruzione INPS
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:62022CJ0270
L’arrêt et les parties :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE concernant une discrimination relative à l’ancienneté retenue pour titularisation des agents publics engagés à durée déterminée
les parties sont : le Ministero dell’Istruzione, Instituto nazionale della previdenza sociale (INPS) contre G.D, A.R et C.M, plaignants
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union :
DIRECTIVE 1999/70/CE DU Conseil du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, considérant 14 et clauses 1 à 4 de l’accord cadre. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A31999L0070
Droit italien :
L’article 4, paragraphe 3, du decreto del Presidente della Repubblica n. 399.
L’article 485 du decreto legislativo no 297.
L’article 489 du décret législatif no 297/1994.
L’article 11, paragraphe 14, de la legge n. 124.
En bref résumé, cette législation prévoit que pour la titularisation les services accomplis en tant que non titulaire sont retenus dans leur intégralité pour les quatre premières années et pour les deux tiers en ce qui concerne les périodes supplémentaires.
Le service doit être accompli durant une année scolaire complète.
Le service est considéré comme complet si sa durée est au moins de 180 jours ou s’il a été accompli de manière ininterrompue du 1er février à la fin des opérations d’évaluation finales.
Faits et procédure :
Résumé :
Les requérants ont travaillé comme enseignants dans le cadre du plusieurs contrats à durée déterminée avant de bénéficier d’une titularisation.
Le Ministère de l’Éducation a procédé à une reconstitution de carrière, en retenant une ancienneté conforme à la législation sus-mentionnée.
Les requérants estiment que l’ancienneté comptabilisée est inférieure à l’ancienneté effective en violation de la clause 4 de l’accord cadre.
Clause 4 :
Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.
Les requérants demandent que chaque jour de travail soit assimilé, pour la comptabilisation, à un jour travaillé par un enseignant à durée indéterminé.
La question est fort complexe en droit italien lu en comparaison avec l’arrêt Motter rendu en 2018 par la Cour.
Cette situation a amené le Tribunale ordinario di Ravenna a poser une question préjudicielle que la Cour reformule ainsi :
Question préjudicielle re formulée par la Cour :
561 La cour estime qu’il convient d’examiner si la législation en cause au principal conduit à une différence de traitement qui concerne des situations comparables, avant de déterminer, le cas échéant, si une telle différence est susceptible d’être justifiée par des « raisons objectives ».
Justification de la réponse de la Cour :
57 La Cour note que, au fins de leur classement dans une catégorie de rémunération, les enseignants statutaires peuvent voir pris en compte leur ancienneté de manière intégrale. Chaque jour d’expérience peut être retenu indépendamment de la quantité de travail réellement effectuée.
58-59 Par contre, les services accomplis en tant que non titulaire sont retenus dans leur intégralité pour les quatre premières années et pour les deux tiers en ce qui concerne les périodes supplémentaires.
Le tiers restant peut être réintégré au fins de classements ultérieurs mais la Cour note que cette réintégration n’est possible qu’après une période particulièrement longue.
60 La législation nationale institue donc une différence de traitement au détriment des enseignants à durée déterminée.
61-66 Faut il que la différence de traitement concerne des situations comparables. Conformément aux clauses 3 point 2 et 4, « il convient de rechercher si, compte tenu de la nature du travail, des conditions de formation et des conditions de travail », il y a comparabilité.
Il paraît résulter de la demande que, lors des différentes missions, les requérants occupaient les mêmes fonctions et le même poste que leur collègues statutaires même si dans certains cas les missions étaient de courte durée. Au regard de la nature et des conditions de travail ils peuvent être considérés comme étant en situation comparable.
67 Le fait d’être lauréat d’un concours administratif ne remet pas en cause la comparabilité. [⚖️C 466/17, 20/09/2018, Motter, points 33 à 35]
68 En ce qui concerne le caractère bref et discontinu de certaines missions, « rien n’indique que cela modifie substantiellement les fonctions exercées ou les postes occupés., voire la nature ou les conditions du travail effectué. » Pour les enseignants à durée indéterminée, « aucun élément de dossier[…] ne tend à établir que le caractère bref et discontinu de certains services » aurait des incidences sur la prise en compte du calcul d’ancienneté.
69-70 La différence de traitement entre les situations comparables identifiées aux points précédents doit pouvoir être justifiée par des raisons objectives (clause 4 de l’Accord cadre).
Des critères objectifs et transparents doivent permette de vérifier que l’inégalité répond à un besoin véritable, qu’elle est apte à atteindre l’objectif et qu’elle est nécessaire à cette atteinte.
72 La juridiction de renvoi et le gouvernement italien évoquent la nécessité d’éviter une discrimination à rebours des enseignants statutaires. Il font état de l’absence de vérification initiale de leurs compétences par le biais d’un concours.
73 Chacun de ces objectifs serait susceptible de constituer une raison objective.
74 La prévention d’une discrimination à rebours ne saurait constituer une raison objective « lorsque la réglementation concernée [relative aux enseignants à durée déterminée] exclut totalement et en toutes circonstances la prise en compte de toutes les périodes de services accomplis. » [⚖️C302/11, 18/10/2012, Valenza, point 62.]
80-81 La limitation à proportion des deux tiers de l’ancienneté des non titulaires au-delà de quatre ans n’est pas, selon la Cour excédentaire par rapport à ce qui est nécessaire pour parvenir à un équilibre entre les enseignants à durée indéterminées et à durée déterminée. Ceci « dans le respect des valeurs méritocratiques et des considérations d’impartialité et d’efficacité de l’administration » qui sont aux fondements de tout concours.
Par contre, la privation totale l’ancienneté lorsque l’enseignant se trouve en dessous des seuils de pertinence que fixe le législateur italien (voir supra, résumé de la législation italienne), excède ce qui est nécessaire.
Réponse de la Cour :
« La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,
doit être interprétée en ce sens que :
elle s’oppose à une législation nationale qui, aux fins de la reconnaissance de l’ancienneté d’un travailleur lors de sa titularisation en tant que fonctionnaire statutaire, exclut les périodes de service accomplies au titre de contrats de travail à durée déterminée n’atteignant pas 180 jours par année scolaire ou non effectuées de façon continue entre le 1er février et la fin des opérations d’évaluation finale des élèves, indépendamment du nombre effectif d’heures travaillées, et limite aux deux tiers la prise en compte des périodes atteignant ces seuils au-delà de quatre années, sous réserve de réintégration du tiers restant après un certain nombre d’années de service. »
1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.