FICHE COMPLÈTE rédigée par Pierre Déjean
Affaire C 715/20 (20/02/24) K.L./X sp. zo.o.
EUR-Lex – 62020CJ0715 – EN – EUR-Lex (europa.eu)
L’arrêt et les parties :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla Krakowa – Nowej Huty w Krakowie (tribunal d’arrondissement de Cracovie – Nowa Huta à Cracovie, Pologne), par décision du 11 décembre 2020, parvenue à la Cour le 18 décembre 2020.
les parties sont : X sp. zo.o. – contre – K.L.plaignant
Le droit applicable au litige
Droit de l’Union
La Directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43)
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (europa.eu)
Droit polonais
L’article 8 de l’ustawa – Kodeks pracy (loi instituant un code du travail), du 26 juin 1974 (Dz. U. no 24, position 141), dans sa version applicable au litige au principal (Dz. U. de 2020, position 1320, telle que modifiée) (ci-après le « code du travail ») :
« Un droit ne peut être exercé en contradiction avec sa finalité socio-économique ou en méconnaissance des principes de la vie en société. »
Les articles 183 a et be du code du travail qui posent, en droit polonais, les principes d’égalité et de non-discrimination.
L’article 30 du code du travail qui traite de la résiliation du contrat de travail ; en particulier le §1, 3 et 4 :
« 1. La résiliation d’un contrat de travail a lieu :
| 1) | d’un commun accord entre les parties ; |
| 2) | à la suite d’une déclaration de l’une des parties, moyennant un délai de préavis (résiliation du contrat de travail avec préavis) ; |
| 3) | à la suite d’une déclaration de l’une des parties sans préavis (résiliation du contrat de travail sans préavis) ; |
| 4) | à l’expiration du délai pour lequel le contrat de travail a été conclu. |
[…]
3. La déclaration de chaque partie concernant la résiliation d’un contrat de travail avec ou sans préavis doit être faite par écrit.
4. La déclaration de l’employeur concernant la résiliation avec préavis d’un contrat à durée indéterminée ou la rupture d’un contrat de travail sans préavis doit indiquer le motif qui la justifie. »
Les articles 44 à 50 du code du travail ; en particulier l’article 50§3 : « Si un contrat de travail à durée déterminée est résilié en violation des dispositions relatives à la résiliation d’un tel contrat, le travailleur a droit uniquement au versement d’une indemnité. »
Faits et procédure :
Résumé :
Du 1° novembre 2019 au 31 juillet 2022 K.L. avait conclu avec X un CDD à temps partiel.
Le 15 juillet 2020 K.L. s’est vu notifier une déclaration de résiliation en respectant un délai de préavis mais sans motifs.
K.L. a saisi le Tribunal d’arrondissement de Cracovie d’une demande d’indemnisation soulevant le caractère illicite du licenciement. Il a soutenu que l’absence d’indication des motifs viole le principe de non discrimination consacré par le droit de l’Union.
Ce tribunal, juridiction de renvoi, confirme qu’en droit polonais, en cas de recours relatif à une résiliation de contrat à durée déterminée le juge compétent n’examine pas le motif de licenciement et le travailleur n’a droit à aucune indemnisation en raison de l’absence de justification.
Le juge de renvoi est amené à poser une question préjudicielle ainsi refomulée par la Cour
Question préjudicielle re-formulée par la Cour :
321 La clause 4 de l’accord-cadre s’oppose t’elle à une réglementation nationale qui n’oblige pas l’employeur à motiver par écrit la résiliation avec préavis d’un CDD alors qu’il y est tenu en cas de résiliation d’un CDI ? Cette clause peut elle être invoquée dans le cadre d’un litige opposant des particuliers ?
Principe de non-discrimination (clause 4)
1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.
2. Lorsque c’est approprié, le principe du «pro rata temporis» s’applique.
3. Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les Etats membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation Communautaire et la législation, des conventions collectives et pratiques nationales.
4. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiées par des raisons objectives.
Raisonnement de la Cour :
La Cour examine au préalable l’applicabilité de la directive 1999/70, à cet égard, elle précise différents points 2
33-34 En premier lieu, l’accord-cadre s’applique à tous les travailleurs qui fournissent des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation de travail à durée déterminée. Le requerant était considéré comme engagé en CDD. Le litige relève donc du champ d’application de l’accord-cadre.
35 En deuxième lieu, l’interdiction d’un traitement moins favorable des travailleurs en CDD concerne les conditions d’emploi. Il convient de déterminer si la réglementation en cause qui régit la résiliation d’un contrat de travail relève de la notion de conditions d’emploi au sens de l’accord-cadre.
36-37 Selon le libellé et l’objectif de la clause 4, point 1 celle-ci à trait, non au choix de conclure des CDD au lieu de CDI, mais aux conditions d’emploi des travailleurs ayant conclu des CDD par rapport aux employés en CDD. Le critère décisif est donc celui de l’emploi c’est à dire la relation de travail.
39 Une interprétation qui exclurait de la définition des conditions d’emploi, les conditions de résiliation, réduirait le champ d’application de la protection.
40 la réglementation nationale en cause prévoit le régime de résiliation qui a pour « raison d’être » la relation de travail. Elle relève donc des conditions d’emploi.
En troisième lieu…
42-44 La clause 4 fait application du principe de non discrimination en vue d’empêcher l’utilisation des CDD pour priver les travailleurs des droits reconnus aux CDI. La clause 4 point 1 « n’est que l’expression spécifique » du principe général d’égalité, principe fondamental du droit de l’Union. Il ne saurait donc être restrictivement interprété. (Voir Arrêt du 19 octobre 2023, Lufthansa CityLine, Point 37, C‑660/20, EU:C:2023:789)
45 Cette clause « qui a un effet direct » interdit de traiter dans son point 1 les travailleurs en CDD de manière moins favorable que les travailleurs en CDI qui sont en situation comparable. Cependant un traitement différent peut être justifié par des raisons objectives. (Voir Arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557 points 56 et 64 ; Arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 42).
La Cour examine préalablement deux questions : la comparabilité et le caractère moins favorable.
47-49 En ce qui concerne la comparabilité, il faut tenir compte de la nature du travail, des conditions d’emploi et des conditions de formation (Voir Arrêt du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility, C‑574/16, EU:C:2018:390, point 48). Il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si l’on se trouve dans un cas de situation comparable.
50 En ce qui concerne le caractère moins favorable, résiliant avec préavis un CDD, l’employeur n’est pas tenu d’indiquer les motifs par écrit (voir supra : article 30 point 4 du code du travail polonais). Il y est au contraire tenu lorsqu’il résilie avec préavis un CDI.
51 Le caractère moins favorable doit s’apprécier objectivement. Dans le cas précis, le salarié « est privé d’une information importante pour apprécier le caractère injustifié du licenciement » et envisager un recours possible. Il y a donc différence de traitement au sens de la clause 4 point 1.
53-55 Même si cela n’exclut pas un contrôle juridictionnel, l’intéréssé ne dispose pas d’informations qui pourraient être déterminantes dans le choix d’engager une procédure. C’est donc seulement dans le cadre du recours que le plaignant pourrait obtenir ordonnance de communication des motifs. Il résulte des explications du gouvernement polonais que le travailleur devra étayer son argumentation à l’audience. Cela, en dépit du fait qu’il ne connait pas les motifs. De plus, si le recours est gratuit, la préparation et le suivi de la procédure peuvent entraîner des coûts. Enfin, la résiliation anticipée d’un CDD, de par son caractère imprévu, est susceptible d’affecter le salarié autant que la résiliation d’un CDI en affecte le titulaire.
La cour examine ensuite les raisons objectives pouvant justifier une différence de traitement.
58 Cette différence ne peut être prévue par une norme générale et abstraite. Elle doit être justifiée par des éléments précis et concrets (nature particulière et caractéristiques inhérentes aux tâches ou objectif légitime de politique sociale).
61-64 Selon le gouvernement polonais, une politique sociale, visant le plein emploi productif, nécessite une grande flexibilité. Le CDD y contribuerait. Garantir le même niveau de protection entre CDI et CDD compromettrait l’objectif de flexibilité recherché. Les éléments invoqués ne sont pas précis et concrets « caractérisant la condition d’emploi » (point 58), ils font exclusivement référence, « de manière générale et abstraite » à la durée même de l’emploi. Admettre cet argument viderait les objectifs de l’accord-cadre de toute substance.
66-67 La réglementation en cause n’apparaît pas comme nécessaire à l’objectif de flexibilité. En effet, l’obligation d’indiquer les raisons d’une résiliation ne prive pas l’employeur de la flexibilité.
La Cour examine enfin la question de l’interprétation conforme de la réglementation par rapport à la clause 4 de l’accord-cadre. Son raisonnement tient en plusieurs points
72–80
1-Le principe de primauté exige que le juge national écarte toute réglementation nationale contraire à une disposition de droit de l’Union à effet direct.
2- « …même claire, précise et inconditionnelle, une disposition d’une directive ne permet pas au juge national d’écarter une disposition de son droit interne qui y est contraire, si, ce faisant, une obligation supplémentaire venait à être imposée à un particulier ».
3- L’État membre qui adopte une réglementation précisant les conditions d’emploi régies par la clause 4 de l’accord-cadre, « met en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51§1 de la Charte. Il doit ainsi garantir le respect… du droit à un recours effectif consacré à l’article 47. (Par Analogie, voir Arrêt arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C‑245/19et C‑246/19, EU:C:2020:795 points 45 et 46).
4- Il a été démontré que l’absence d’informations écrites est une limite d’accès aux recours juridictionnels. Elle porte donc atteinte au droit fondamental à un recours effectif reconnu par l’article 47.
l’article 47 de la Charte se suffit à lui-même et ne doit pas être précisé par des dispositions du droit de l’Union ou du droit national pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel(Voir en ce sens, Arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257 point78)..
La juridiction nationale est donc tenue de laisser inappliqué l’article 30 §4 du code du travail polonais. L’argumentation de la Cour est ici d’une grande importance. Elle ne se place pas sur le terrain de la nature même de la directive mais plutôt sur celui de la directive en tant que chambre d’écho d’un droit fondamental garanti par la charte des droits fondamentaux de l’Union
Réponse de la Cour :
« Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,a clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,
doit être interprétée en ce sens que :
elle s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle un employeur n’est pas tenu de motiver par écrit la résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée déterminée alors qu’il est tenu à une telle obligation en cas de résiliation d’un contrat de travail à durée indéterminée. La juridiction nationale, saisie d’un litige opposant des particuliers, est tenue, lorsqu’il ne lui est pas possible d’interpréter le droit national applicable de manière conforme à cette clause, d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridictionnelle découlant pour les justiciables de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de cet article en laissant, dans la mesure nécessaire, inappliquée toute disposition nationale contraire. »
1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.
2Les textes en italique sont ajoutés par la rédaction ou apparaissent dans le texte de l’arrêt pour une lecture commode.
