Travail à durée déterminée – Contrats de travail à durée indéterminée non permanents (1)


Fiche rédigée – par Pierre Déjean


 22/02/2024 Affaires jointes C 59/22, C 110/22 et C 159/2 EUR-Lex – 62022CJ0059 – EN – EUR-Lex (europa.eu)

L’arrêt et les parties  :

L’arrêt concerne des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), par décisions du 22 décembre 2021, du 21 décembre 2021 et du 3 février 2022, parvenues à la Cour, respectivement, le 27 janvier, le 17 février et le 3 mars 2022

les parties sont : Consejería de Presidencia, Justicia e Interior de la Comunidad de Madrid (C‑59/22), – contre M.P.plaignant

et Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED) (C‑110/22) – contre I.P. plaignant

et Agencia Madrileña de Atención Social de la Comunidad de Madrid (C‑159/22) – contre I.K. plaignant

Le droit applicable au litige 

Droit de l’Union 

La Directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43)

Droit espagnol

L’article 23, paragraphe 2, de la Constitución española : les citoyens « ont le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions et postes publics, sous réserve des exigences établies par la loi ».

L’article 103, paragraphe 3, de la Constitution prévoit, notamment, que la loi définit le statut des fonctionnaires et règlemente l’accès à la fonction publique conformément aux principes de mérite et d’aptitude.

L’article 15, paragraphe 5, du statut des travailleurs dispose :

« Sans préjudice des dispositions des paragraphes 1, sous a), 2 et 3, du présent article, les travailleurs qui ont été engagés, avec ou sans interruption, pour une durée supérieure à 24 mois sur une période de 30 mois afin d’occuper un poste de travail identique ou différent au sein de la même entreprise ou du même groupe d’entreprises dans le cadre d’au moins deux contrats temporaires, que ce soit directement ou par leur mise à disposition par des entreprises de travail intérimaire et selon des modalités contractuelles à durée déterminée identiques ou différentes, acquièrent la qualité de travailleurs permanents. […] »

La Ley del Estatuto Básico del Empleado Público approuvée par le Real Decreto Legislativo 5/2015du 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015, p. 103105), dans sa version applicable aux faits des litiges au principal (ci-aprè EBEP ») prévoit dans son article 8 :

2.   Les agents publics sont classés en :

a) fonctionnaires ;
b) agents non titulaires ;
c) agents contractuels, qu’il s’agisse de personnel permanent, à durée indéterminée ou déterminée ;
d)personnel auxiliaire. »

Article 11 :

En ce qui concerne les agents contractuels : « … Selon sa durée, le contrat peut être permanent, à durée indéterminée ou déterminée. »

La loi relative au budget de l’Etat pour l’année 2017 prévoit que l’octroi du statut de travailleur à durée indéterminée non permanent ne peut être accordé qu’en vertu d’une décision judiciaire. Ce, dans le cas d’un acte irrégulier en matière de recrutement temporaire.

Faits et procédure :

Résumé  :

L’affaire C‑59/22

Depuis le 22 octobre1994 MP est engagée dans une « relation de travail à durée indéterminée à temps partiel de type vertical cyclique ».

Le 13 novembre2020 elle demande la requalification en un contrat de travail permanent et l’obtention d’une indemnité équivalente à celle prévue pour un licenciement abusif. Le Juzgado de lo Social no 18 de Madrid rejette le recours.

MP fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi : le Tribunal Superior de Justicia de Madrid. Ce tribunal a des doutes relatifs à la conformité du droit espagnol avec la clause 5 de l’accord cadre :

Il pose des questions préjudicielles en conséquence1.

L’affaire C‑110/22

IP travaille depuis le 11 février 1994 sur la base de CDD successifs.

Le 29 septembre 2001, le Juzgado de lo Social no 15 de Madrid lui reconnaît la qualité de « travailleur à durée indéterminée non permanent ».

Le poste n’ayant pas fait l’objet d’un appel à candidature, comme l’administration y était obligée, IP a demandé la reconnaissance judiciaire pour occuper le poste en qualité de travailleur à durée indéterminée. Il a également demandé que le poste lui soit attibué par voie de concours sur titre.

Ces demandes ayant été rejetées le requérant a interjeté appel devant le Tribunal Superior de Justicia de Madrid en faisant valoir une violation des dispositions de l’accord-cadre et du droit espagnol.

Le tribunal a posé 12 questions préjudicielles qui sont regroupés infra par la Cour.

L’affaire C‑159/22

IK travaille depuis le 21 décembre1998 sur la base de CDD successifs, avec une interruption entre les années 1999 et 2010.

le 14 octobre2020 IK a intenté un recours devant le Juzgado de lo Social no 21 de Madrid visant à faire reconnaître que son contrat était à durée indéterminée (à titre subsidiaire, non permanent).

Son recours ayant été rejeté, il a interjeté appel devant le Tribunal Superior de Justicia de Madrid, invoquant une violation du droit espagnol et de la clause 5 de l’accord-cadre.

Le tribunal pose 6 questions préjudicielles également regroupées par la Cour.

Questions préjudicielles re-formulées par la Cour :

Premières questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

582 Les clauses 2 et 3 de l’accord-cadre cadre doivent elles être interprétées en ce sens qu’un travailleur à durée indéterminée non permanent est un travailleur à durée déterminée et relève ainsi de son champ d’application ?

Clause 2

  1. Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.
  2. Les États membres, après consultation de partenaires sociaux, et/ou les partenaires sociaux peuvent prévoir que le présent accord ne s’applique pas: a) aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage; b) aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics.
  3. Clause 3
  4. Aux termes du présent accord, on entend par: 1. «travailleur à durée déterminée», une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé; 2.
  5. «travailleur à durée indéterminée comparable», un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à durée indéterminée comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à la législation, aux conventions collectives ou aux pratiques nationales ».

Raisonnement de la Cour :

La Cour examine au préalable l’applicabilité de la directive 1999/70, à cet égard, elle précise différents points 3

59 Le champ d’application de l’accord-cadre est large et vise les travailleurs ayant un contrat ou une relation de travail définie par la législation de l’Etat membre. Il n’est pas opéré de distinction entre le secteur public et le secteur privé.

60 L’élément caractéristique du CDD est que le terme est déterminé par « des conditions objectives (atteinte d’une date, achèvement d’une tache, événement donné) ».

61 L’accord-cadre s’applique dès lors que les deux parties sont liées par un contrat ou une relation de travail au sens du droit national, sous réserve de la marge d’appréciation laissée aux Etats membres.

62 La notion de travailleur à durée indéterminée non permanent est une création jurisprudentielle. Elle doit être distinguée de la notion de travailleur permanent.

63 Selon le Tribunal Supremo, ce contrat est soumis à une cause de cessation spécifique. Dans le cas de requalification en CDI non permanent, l’administration est tenue de pourvoir ce poste en respectant la procédure adéquate et en appliquant les principes constitutionnels de publicité d’égalité de mérite et d’aptitude.

64 La juridiction de renvoi précise que l’attribution définitive du poste à la personne qui a remporté le concours (qui est ou non celle qui occupait le poste), limite par ce terme la durée du CDI non permanent. Ce contrat doit être considéré comme CDD aux fins de l’application de la directive.

65 Le CDI non permanent tel que défini par la législation espagnole est donc un CDD et relève de la clause 3 point 1 de l’accord cadre.

Réponse de la Cour :

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

Les clauses 2 et 3 de l’accord-cadre... doivent être interprétées en ce sens que :

un travailleur à durée indéterminée non permanent doit être considéré comme étant un travailleur à durée déterminée, au sens de cet accord-cadre, et, partant, comme relevant du champ d’application de ce dernier.

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Deuxièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

67 La clause 5 de l’accord-cadre couvre t-elle une situation dans laquelle l’administration est liée par un seul CDI non permanent résiliable en cas d’attribution de poste sur appel à candidature ?

Clause 5

1 Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail

2 Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

Raisonnement de la Cour :

68 La clause 5 vise à encadrer le recours successif aux CDD, source potentielle d’abus.

70 Le tout premier et unique CDD ne relève donc pas de cette clause.

71 L’accord-cadre laisse aux états membres le soin de déterminer dans quelles conditions ces contrat sont considérés comme successifs.

72 Cependant la marge d’appréciation des Etats n’est pas sans limites : elle ne peut pas remettre en cause l’objectif et l’effet utile de l’accord-cadre (voir arrêt du 3 juin 2021, Instituto Madrilenio de Investgacion y Desarollo Rural Agrario y Alimentrio, C‑726/19EU:C:2021:439) point 32)..

…74 Ces limites s’imposent concernant la notion clef du caractère successif des rapports de travail (voir arrêt précité, Instituto Madrilenio de Investgacion y Desarollo Rural Agrario y Alimentrio, point 32).

75 Dans le cas précis, lorsque le travailleur est déclaré en CDI non permanent, cette déclaration (constituant une sanction) substitue cette qualité aux CDD conclus auparavant. La relation de travail est dès le départ à durée indéterminée non permanente et les CDD antérieurs cesseraient d’être en vigueur.

76 Sans échéance fixe, le CDI non permanent voit sa fin subordonnée à une procédure publique de couverture du poste.

77 L’administration n’a organisé aucune épreuve de sélection en méconnaissance de son obligation. Le requérant est ainsi en CDI non permanent depuis 20 ans.

78-79 Conclure à l’absence de relations à durée déterminées successives au seul motif que l’administration est liée par un CDI non permanent ;

alors que : ce contrat (temporaire) se substitue à des CDD successifs à titre de sanction pour non respect d’une procédure de sélection et qu’en conséquence la relation de travail a été implicitement prorogée ;

impliquerait une interprétation restrictive de la relation de travail à durée déterminée qui risquerait de compromettre l’objet, la finalité et l’effet utile de l’accord-cadre (possibilités d’emploi précaire ; satisfaction de besoins permanents par des CDD, etc.) (voir arrêt précité, Instituto Madrilenio de Investgacion y Desarollo Rural Agrario y Alimentrio, Point 35).

81 Lorsque l’administration n’a pas organisé dans les délais une procédure de sélection, les prorogations automatiques d’un CDI non permanent peuvent être assimilées à des renouvellements et donc à la conclusion de CDD distincts et successifs au sens de la clause 5 et non d’un unique contrat.

Réponse de la Cour :

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70, doit être interprétée en ce sens que :

l’expression « utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs », figurant à cette disposition, couvre une situation dans laquelle, faute pour l’administration concernée d’avoir organisé, dans le délai imparti, une procédure de sélection visant à pourvoir, de manière définitive, le poste occupé par un travailleur à durée indéterminée non permanent, le contrat à durée déterminée liant ce travailleur à cette administration a été prorogé de plein droit.

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Troisièmes à cinquièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22

86 La clause 5 de l’accord-cadre s’oppose t-elle à une réglementation qui ne prévoit aucune mesures visées par le point 1 a) à c), ni de mesures équivalentes pour prévenir l’utilisation abusive de CDI non permanents ?

Raisonnement de la Cour :

93 Les employeurs publics et le gouvernement espagnols font valoir que le CDI non permanent répond aux caractéristiques des 3 mesures évoquées dans la clause 5 : le CDI non permanent garantie l’accès à l’emploi ; c’est une raison objective. Il a une durée maximale calée sur la publication de l’appel à candidature. Le caractère successif est exclu car il n’y a pas de renouvellement prévu.

La Cour conteste cette interprétation :

95 Les raisons objectives visées par la clause 5 point 1 a) concernent le renouvellement des CDD et non l’application d’un type de contrat tel que le CDI non permanent.

96-98 L’organisation du recrutement dans les délais est en principe susceptible de prévenir les abus mais les délais ne sont pas respectées et les procédures peu fréquentes.

99 La réglementation en cause prévoit des procédures de sélection dans des délais précis à cette fin mais ne permet pas d’assurer que ces procédures soient effectivement organisées. Elle n’est donc pas de nature prévenir des recours abusifs à des CDD successifs. (voir arrêt du 19 mars 2020, Sánchez Ruiz e.a., C‑103/18 et C‑429/18EU:C:2020:219, point 97).

100 Cette réglementation ne semble pas une mesure effective et dissuasive pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre cadre. Elles ne peuvent donc pas être qualifiées de « mesure légale équivalente » au sens de la clause 5.

Réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5, point 1, sous a) à c), de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit aucune des mesures visées à cette disposition ni de « mesure légale équivalente », au sens de celle-ci, afin de prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée indéterminée non permanents. »

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Sixièmes et septièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur les première et deuxième questions posées dans l’affaire C‑159/22

102 La clause 5 de l’accord-cadre s’oppose t-elle à une réglementation qui prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire (20 jours de salaire par année de travail plafonnée à un an) à tout travailleur dont l’employeur a recouru à l’utilisation abusive de CDI non permanents prorogés de manière successive ?

Clause 5

1 Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail

2 Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

Raisonnement de la Cour :

103 Les autorités nationales doivent adopter des mesures proportionnées, effectives et dissuasives pour garantir la pleine efficacité des normes d’application des directives.

…105 Le versement d’une indemnité telle que celle prévue est due aux travailleurs lors de la résiliation de leurs contrats en raison de la procédure de couverture de leur poste. Ceci supposerait qu’ils ont échoué ou n’ont pas participé à la sélection.

106 Le versement d’une indemnité a, selon la clause 5, pour objet de prévenir les abus. Or le versement prévu semble indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à des CDD.

107 Il n’est pas de nature à sanctionner dûment des recours abusifs. Il ne peut donc pas constituer, à lui seul, une mesure effective et dissuasive.

Réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit le versement d’une indemnité forfaitaire, égale à 20 jours de salaire par année de travail, plafonnée à un an de salaire, à tout travailleur dont l’employeur a recouru à une utilisation abusive de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, lorsque le versement de cette indemnité de fin de contrat est indépendant de toute considération relative au caractère légitime ou abusif du recours à ces contrats. 

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Huitièmes et neuvièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur la troisième question posée dans l’affaire C‑159/22

109 La clause 5 de l’accord-cadre s’oppose t-elle à des dispositions nationales qui prévoient que « les actes irréguliers » engagent la responsabilité des administrations publiques4 ?

Raisonnement de la Cour :

112 La Cour constate que : -L’expression « actes irréguliers » serait trop vague pour permettre l’application de sanctions ou l’imputation de responsabilités conformes au principes de légalité et de certitude. – Les responsabilités ne seraient pas précisées. Il y aurait simplement renvoi à la réglementation en vigueur. – La juridiction de renvoi n’aurait connaissance d’aucun cas de mise en jeu de cette responsabilité.

Réponse de la Cour

« Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à des dispositions nationales selon lesquelles les « actes irréguliers » engagent la responsabilité des administrations publiques « conformément à la réglementation en vigueur dans chacune [de ces] administrations publiques », lorsque ces dispositions nationales ne revêtent pas un caractère effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes adoptées en application de cette clause. »

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Sur les douzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur la sixième question posée dans l’affaire C‑159/22

116 La clause 5 s’oppose t-elle à une réglementation qui prévoit l’organisation de procédures de pérennisation des emplois temporaires au moyen d’appel à candidatures concernant notamment les travailleurs employés en CDI non permanents ?

Raisonnement de la Cour

…118 Les procédures de pérennisation sont indépendantes de toute considération relative au caractère abusif des recours aux CDD. Elles ne sanctionnent donc pas dûment les recours abusifs. Elles ne permettent donc pas d’atteindre la finalité de la clause 5.

Réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l’organisation de procédures de pérennisation des emplois temporaires au moyen d’appels à candidatures pour pourvoir les postes occupés par les travailleurs temporaires, dont les travailleurs à durée indéterminée non permanents, lorsque cette organisation est indépendante de toute considération relative au caractère abusif du recours à ces contrats à durée déterminée.

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Sur les dixièmes et onzièmes questions posées dans les affaires C‑59/22 et C‑110/22 ainsi que sur les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑159/22

122 Contexte : Le Tribunal Constitucional considère que les « principes constitutionnels selon les quels l’accès à l’emploi dans la fonction publique respecte les principes d’égalité, de mérite et d’aptitude (article 23 §2 et 103§3 de la Constitution) ne s’appliquent pas aux relations de travail contractuelles. » La chambre sociale du Tribunal Supremo applique quant à elle ces principes à de telles relations. Cela rendrait impossible la qualification de travailleurs à durée indéterminée, des personnes n’ayant pas été recrutés selon ces principes. Ceci explique la création jurisprudentielle de CDI non permanents. Selon la juridiction de renvoi, la transformation en CDI des CDI non permanents prorogés de manière successive pourrait être considéré comme contraire aux dispositions constitutionnelles interprétées par le Tribunal Supremo. Ceci conduit cette juridiction à poser la question préjudicielle suivante :

123 La clause 5 doit elle être interprétée en ce sens que faute de mesure adéquates pour prévenir et sanctionner les abus de recours aux CDD en application de la clause, ces CDD devraient être transformés en CDI même si cette transformation est contraire à une interprétation constitutionnelle.

Raisonnement de la Cour :

124 La clause 5 n’impose pas d’obligation de transformation en CDI, mais une simple faculté.

127 Une réglementation nationale, interprétée par le Tribunal Supremo qui interdit la transformation en CDI ne peut être considérée comme conforme que si l’ordre interne comporte une autre mesure effective de sanction de l’utilisation abusive de CDD. (voir, arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens), C‑236/20EU:C:2022:263, point 62).

128-129 Une réglementation prévoyant la transformation en relation à durée indéterminée des CDI non permanents est conforme à la clause 5. Cependant la clause 5 point 1 n’est pas inconditionnelle et suffisamment précise pour être invoquée par un particulier devant le juge national. En effet les Etats membres ont le pouvoir d’appréciation de recourir à une des mesures énoncées dans la clause et il n’est pas possible de déterminer une protection minimale au sens de la clause 5.

130 Le juge national a une obligation d’interprétation conforme de l’ensemble des dispositions du droit national tant antérieures que postérieures à la directive.

131 L’exigence d’une interprétation conforme du droit national est en effet inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union

132 Dans cette interprétation le juge est limité par les principes généraux du droit et ne saurait faire d’interprétation contra legem.

133 Dans cette interprétation, le juge prendra en compte l’ensemble du droit interne et ses méthodes d’interprétation.

134 Le juge donnera une interprétation et une application de la législation nationale à même de sanctionner les abus.Dans le cadre de cette interprétation, le juge appréciera si les dispositions de la Constitution peuvent être interprétées conformément à la clause 5 (voir, par analogie, arrêt du 11 février 2021, M.V. e.a. (Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur public), C‑760/18EU:C:2021:113, point 69).

135 Le cas échéant, il pourra modifier une interpretation jurusprudentielle du droit interne l’interprétant de manière incompatible avec les objectifs de la directive.

136-137 Si la juridiction de renvoi considère que l’ordre juridique interne ne comporte pas de mesure effective pour éviter et sanctionner l’utilisation abusive de CDD successifs, y compris les CDI non permanents ; alors la transformation en CDI constitue une telle mesure. Dans cette hypothèse, si la juridiction de renvoi considère que la jurisprudence du Tribunal Supremo, à la différence du Tribunal Constitucional, s’oppose à cette transformation et si cette jurisprudence repose sur une interprétation de la Constitution incompatible avec la clause 5 ; alors elle devra modifier cette jurisprudence.

Réponse de la Cour :

« Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70,

doit être interprétée en ce sens que :

faute d’existence de mesures adéquates dans le droit national pour prévenir et, le cas échéant, sanctionner, en application de cette clause 5, les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, y compris de contrats à durée indéterminée non permanents prorogés de manière successive, la transformation de ces contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée est susceptible de constituer une telle mesure. Il appartient, le cas échéant, à la juridiction nationale de modifier la jurisprudence nationale établie si celle-ci repose sur une interprétation des dispositions nationales, y compris constitutionnelles, incompatible avec les objectifs de la directive 1999/70, et, notamment, de ladite clause 5.


1 Pour une lecture plus aisée la Cour a regroupé les questions préjudicielles infra.
2 Pour commodité, nous reprenons ici la numérotation suivie par la Cour.
3 Les textes en italique sont ajoutés par la rédaction pour une lecture commode.
4 Loi relative au budget de l’État pour 2017 précitée.