Fiche longue – Par Pierre Déjean
Affaire C-314/23 (04/10/24) STAVLA et Ministero Fiscal /Air Nostrum et autres, EUR-Lex – 62023CJ0314 – EN – EUR-Lex (europa.eu)
L’arrêt et les parties :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour Centrale, Espagne, par décision du 17 mars 2023, parvenue à la Cour le 22 mai 2023, dans la procédure
les parties sont : Air Nostrum, syndicats de salariés et comité d’entreprise
contre STAVLA (syndicat du personnel au sol de de cabine) et Ministerio Fiscal
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union : Directive 2006/54, considérant 9, article 2, 4 et 14, §1) c). Directive – 2006/54 – FR – EUR-Lex (europa.eu)
Droit Espagnol : Real Decreto Legislativo 2/2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015), article 3, 4 et 26.
Faits et procédure :
Résumé :
Les relations de travail entre Air Nostrum, ses pilotes et son personnel au sol et de cabine sont régies par deux conventions collectives différentes. Ces conventions régissent différemment les indemnités journalières qui couvrent, lors des déplacements, les frais autres que ceux de logement et de transport.
STAVLA soutenu par le Ministère Public a introduit devant l’Audiencia Nacional un recours tendant à l’annulation de l’article 93 de la convention collective du personnel au sol et de cabine, au motif que cet article crée une discrimination indirecte fondée sur le sexe et prohibée par l’article 14 de la Directive 2006/54.
L’Audienca Nacional pose une question préjudicielle relative à l’interprétation de la notion de discrimination indirecte prévue à l’article 14 de la Directive.
Question préjudicielle reformulée par la Cour :
19 1 La Cour relève que la question repose sur trois prémisses :
20 1) Le personnel de cabine regroupe majoritairement des travailleurs de sexe féminin.
21 2) Le montant des indemnités journalières prévues pour ces travailleurs est sensiblement inférieur à celles prévues pour les pilotes.
23 3) Les indemnités journalières relèvent des conditions de travail, tant au sens du droit national que de l’article 14, §1) c) de la Directive et non de la rémunération (article 157 TFUE, 2, 1) e) et 4 de la Directive.
24 La Cour peut toujours reformulerNotons que la Cour n’est pas strictement tenue par les termes de la question préjudicielle. Elle peut recourir à l’application d’autres textes à l’espèce. C’est l’effet utile qui est toujours la justification d’une telle initiative les questions posées et ajouter des éléments d’interprétation qui ne figuraient pas dans la question dans le but de fournir une réponse utile. (Voir arrêt du 21 septembre 2023, Juan, C-164/22, EU:C:2023:684, point 24)
25 L’article 14 §1 de la Directive prohibe toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions de travail. Mais l’article 4 ne prohibe cette discrimination dans la rémunération qu’en ce qui concerne un même travail
26 La question est alors de savoir si les indemnités en cause font partie de la rémunération.
27 Il faut considérer que la juridiction de renvoi demande : si les indemnités journalières forfaitaires (compensant des frais exposés en raison des déplacements) font partie de la rémunération ou des conditions de travail ; et si une différence de traitement affectant les indemnités constitue une discrimination indirecte prohibée fondée sur le sexe.
Raisonnement de la Cour :
28 La notion de rémunération La notion autonome du droit de l’Union permet à la Cour de promouvoir une application uniforme de la notion en cause aux 27 Etats de l’Union. Dans ce cas, il n’y a pas lieu de comparer cette notion à l’aune de chaque droit national. , définie à l’article 2 §2 e) de la Directive est une notion autonome du droit de l’Union. Elle doit recevoir une interprétation large. (Voir, par analogie, arrêts du 7 mars 1996, Freers et Speckmann, C‑278/93, EU:C:1996:83, point 16, et du 19 septembre 2018, Bedi, C‑312/17, EU:C:2018:734, point 33).
29 Selon l’ article 2 §1 e), la rémunération comprend le salaire mais aussi « tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ».
30 Les indemnités journalières constituent un avantage payé directement par l’employeur pour compenser des frais exposés dans le cadre de l’exécution des obligations découlant du contrat de travail.
31-33 Le fait que ces indemnités ne rémunèrent pas une prestation travail spécifique ne les fait pas échapper à la notion de rémunération telle que définie à l’article 2 §1 e). Cette notion n’exige pas que cet avantage rémunère un travail spécifique. Il est simplement dû « en raison de l’emploi » du travailleur concerné. (Voir, par analogie, arrêt du 19 septembre 2018, Bedi, C‑312/17, EU:C:2018:734, point 34). Il compense forfaitairement des frais encourus en raison de déplacements effectuées dans le cadre du contrat de travail.
38 Les indemnités journalières ne relèvent pas de la notion de conditions de travail au sens de l’article 14 §1 c) de la Directive. Le raisonnement de la Cour s’oppose ici a celui de l’avocat général qui dans les points 53, 54 et 55 de ses conclusions estime qu’au contraire les indemnités relèvent des condtions de travail. (Voir https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62023CC0314)
39 Selon la juridiction de renvoi, il y a différence de traitement indirectement fondé sur le sexe : du fait que le personnel de cabine est très majoritairement féminin à l’inverse de la catégorie des pilotes ; et que le montant des indemnités journalières est sensiblement inférieur.
40 Selon l’avocat général dans ses conclusions (58 à 60), il faut considérer l’objectif du versement des indemnités en matière de conditions de travail.: il est identique à savoir la compensation des frais de repas des deux groupesIl résulte de l’article 4 de la Directive la discrimination en cause ne serait prohibée que si elle était versée « pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale ».
41-43 Selon le considérant 9 de la Directive, l’appréciation de l’égalité en matière de travail implique de tenir compte de facteurs tels que la nature et les conditions de travail ainsi que de la formation. Tel n’est pas le cas. Il n’y a donc pas de discrimination indirecte.
Réponse de la Cour :
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 1, sous e), et l’article 4 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail,
doivent être interprétés en ce sens que :
d’une part, des indemnités journalières compensant de manière forfaitaire certains frais exposés par des travailleurs en raison de leurs déplacements professionnels constituent un élément de leur rémunération et, d’autre part, une différence entre le montant de telles indemnités, selon qu’elles sont accordées à un groupe de travailleurs composé majoritairement d’hommes ou à un groupe de travailleurs composé majoritairement de femmes, n’est pas prohibée par cette directive lorsque ces deux groupes de travailleurs n’exercent pas le même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale.Les conclusions de l’avocat général associent indemnités journalières et conditions de travail, mais seulement dans un objectif de compensation de frais de repas. Elles aboutissent donc logiquement à une conclusions inverse : il y a discrimination indirecte entre les deux groupes dans leurs conditions de travail durant les déplacements
1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.