Engagement statutaire dans la fonction publique – Prise en comte des périodes de service en CDD


Fiche complète – Par Pierre Déjean


« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Directive 2000/78/CE – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Pension de retraite – Réglementation nationale prévoyant, avec effet rétroactif, l’assimilation d’une catégorie de fonctionnaires antérieurement favorisée par la législation nationale portant sur les droits à pension de retraite à une catégorie de fonctionnaires antérieurement défavorisée par cette même législation »

Affaire C -322/23

L’arrêt et les parties  :

L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal di Lecce par décision du 17 mai 2023, parvenue à la Cour le 24 mai 2023, dans la procédure

les parties sont :Ministero dell’Istruzione e del Merito, Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),

contre ED

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union : Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée. Directive – 1999/70 – EN – EUR-Lex (europa.eu)

Droit Italien :  Décret législatif no 297/1994  (GURI no 115, du 19 mai 1994, supplément ordinaire no 79) – Loi no 124/1999 (GURI no 107, du 10 mai 1999) – Décret présidentiel no 399/1988 (GURI no 213, du 10 septembre 1988, supplément ordinaire no 85)

Faits et procédure :

Résumé  :

1) ED a travaillé en tant qu’enseignant dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée. Il a bénéficié d’une titularisation lors d’une procédure de recrutement sur titres.

2) Dans le cas de cette procédure le droit positif italien prévoit que l’ancienneté de service est prise en compte, à partir de l’embauche à durée déterminée, pour son intégralité en ce qui concerne les quatre premières années  et pour les deux tiers en ce qui concerne la période supplémentaire éventuelle ; pour le tiers restant elle serait validée au bout d’un certain nombre d’années de service. (articles 485 du Décret législatif 297).

3) L’application d’un Décret présidentiel n°399 complémentaire au décret précédent et relatif aux modalités d’application du dernier tiers (article 4§1) implique que cette validation interviendrait, dans le cas du plaignant, au bout de 16 ans après l’embauche à durée déterminée, ceci à des fins seulement économiques.

4) La prise en compte prévue aux points précédents ne concerne que les services accomplis pendant une année entière, soit 180 jours ou de manière ininterrompue du 1° février jusqu’à la fin des opérations d’évaluation des élèves. L’application de cette règle soustrait 3 années au calcul de l’ancienneté de ED.

5) La Cour de cassation italienne avait été saisie de la conformité de l’article 485 à la clause 4 de l’accord cadre sur le travail à durée déterminée. Sur le fondement d’un arrêt de la Cour (Voir arrêt du 18 septembre 2018 Motter EUR-Lex – 62017CJ0466 – EN – EUR-Lex), elle avait jugé l’article 485 discriminatoire et non conforme à la clause 4.

6) Sur cette base, ED a réclamé une prise en compte de la totalité des services accomplis en durée déterminée au moment de sa titularisation. Il obtenait ainsi une bonification de 5 mois et 7 jours si l’on comparait, au moment de la titularisation, l’ancienneté d’un agent recruté en durée indéterminée et le calcul résultant de l’article 485 abrogé.

7) La juridiction de renvoi estime qu’il y a fait nouveau car, dans l’arrêt Motter, la Cour n’avait pas été saisie du système de calcul prévu pour le dernier tiers par le Décret présidentiel.

8) L’application de ce Décret créerait, selon la juridiction de renvoi, une situation plus favorable que le mode de calcul dont ED se prévaut. Il bénéficierait au bout de 16 ans d’une ancienneté supplémentaire de 3 ans 2 mois et 20 jours.

Cette juridiction pose donc une question préjudicielle qui tient compte du système de calcul du Décret présidentiel1.

Question préjudicielle reformulée par la Cour :

32 2 La clause 4 de l’accord cadre relative aux relations à durée déterminée s’oppose telle a une réglementation prévue par le Décret législatif et le Décret présidentiel3

Principe de non-discrimination (clause 4)

1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

2. Lorsque c’est approprié, le principe du « pro rata temporis » s’applique.

3. Les modalités d’application de la présente clause sont définies par les États membres, après consultation des partenaires sociaux, et/ou par les partenaires sociaux, compte tenu de la législation Communautaire et la législation, des conventions collectives et pratiques nationales.

  1. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiées par des raisons objectives.

Raisonnement de la Cour :

33 La Cour rappelle le contenu de la clause 4 et souligne qu’elle a un effet directEn ce sens qu’elle a un contenu clair et inconditionnel..

La clause 4 point 1 et 4 concerne les conditions d’emploi.

34 Les règles relatives aux périodes de services nécessaires pour être classé dans une catégorie de rémunération relèvent de la notion de « conditions d’emploi ». (Voir arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22EU:C:2023:933, points 52 et 53).

35 Il y a donc deux questions préalables : la réglementation en cause crée t’elle une différence de traitement entre les enseignants recrutés directement à durée indéterminée par concours généraux et ceux qui sont recrutés sur titre ? Cette différence est elle justifiée par des raisons objectives ?

40 Selon la réglementation nationale, les enseignants engagés à durée indéterminée par concours général voient leur ancienneté prise en compte de manière intégrale au fin de classement dans une catégorie de rémunération.

41 ED s’est vu appliquer une limitation de son ancienneté au moment de sa titularisation. (4 ans in intégrum et prise en compte des deux tiers pour les années suivantes).

44-48 Selon l’arrêt Ministero dell’Istruzione et INPS précité, la réglementation en cause opère une différence de traitement et le mécanisme de réintégration au terme des 16 années fait partie intégrante de ces règles. Cette réintégration a seulement une fin économique, à la différence de la règle prévoyant la prise en compte des deux tiers qui est prise en compte au niveaux juridiques et économiques.

Les effets de cette réintégration ont donc une portée limité et son application est future et incertaine. Elle suppose en effet que le bénéficiaire potentiel soit encore en poste. La compensation de la différence de traitement subie lors de la titularisation (voir point 41) n’est donc compensée que de manière partielle.

Enfin, la différence de traitement doit être constatée au moment de l’invocation par le plaignant, sans considération d’évènements futurs et incertains.

49 Pour être contraire à la clause 4, la discrimination interdite doit concerner des situations comparables et être justifiée par des raisons objectives.

50-52 Selon les clauses 3 point 2 et 4 point 1, l’analyse de la comparabilité doit tenir compte de la nature du travail, des conditions de formation et des conditions de travail. Si il y a identité de fonctions d’employeurs ou de poste, les situations doivent, en principe, être considérées comme comparables. C’est le cas pour les enseignants non statuaires tels que ED (sur ce dernier point voir arrêt Ministero dell’Istruzione et INPS précité).

53-54 Pour qu’il y ait des raisons objectives, il faut que l’inégalité réponde à un besoin véritable, soit apte à atteindre l’objectif et nécessaire à cet effet. Ceci peut résulter de la nature particulière des tâches, de leurs caractéristiques ou d’un objectif légitime de politique sociale.

55 Le gouvernement italien invoquait 2 types de raisons objectives : la différence est le reflet de différences d’exercice professionnel ; elle a pour but d’éviter une discrimination à rebours.

56-57 Selon la Cour, chacun des ces objectifs peut constituer une raison objective (arrêt Ministero dell’Istruzione et INPS précité point 73). Ces objectifs peuvent répondre à un besoin véritable et la réglementation nationale peut être apte à les atteindre. (arrêt précité points 75 et 76).

58 La Cour a jugé que cette réglementation excède ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs car l’exclusion d’années incomplètes (voir 4)) se combine avec la prise en compte restreinte des autre années (voir 2)). (Sur tous ces points voir arrêt précité).

59 La Cour a dit pour droit (point 84 de l’arrêt précité), que la clause 4 de l’accord cadre s’oppose à la réglementation nationale tout en incluant dans son interprétation la réintégration prévue à des fins économiques après un certain nombre d’années.

60-61 La juridiction de renvoi évoque le mécanisme de réintégration comme possible raison objective.Rappelons que la raison objective ne peut être contenue dans une réglementation générale et abstraite. Elle doit résulter de l’observation d’éléments précis et concrets. La jurisprudence de la Cour est constante à cet égard. Or, le mécanisme de réintégration est futur et incertain mais surtout, il ne saurait être évoqué comme raison objective car il fait partie des règles qui opèrent la différence de traitement.

Réponse de la Cour

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale qui, aux fins de la reconnaissance de l’ancienneté d’un travailleur lors de sa titularisation en tant que fonctionnaire statutaire, limite aux deux tiers la prise en compte des périodes de service accomplies, au-delà de quatre années, au titre de contrats de travail à durée déterminée, y compris lorsque, après un certain nombre d’années de service, le tiers des périodes de service restant est réintégré à des fins seulement économiques.


1La législation italienne et la jurisprudence italiennes sont, en ce domaine, très complexes. Nous avons tenté de les résumer pour les besoins de la fiche en essayant de ne pas en perdre le sens.

2Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.

3Voir supra 2) et 3).