Fiche complète – Par Pierre Déjean
Affaire C-356/21 (12/01/23) JK/TP S.A
L’arrêt et les parties :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla m. st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie, Pologne), par décision du 16 mars 2021, parvenue à la Cour le 7 juin 2021, dans la procédure.
Les parties sont : JK requérant – contre – TP (télévision polonaise)
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union : Directive 2000/78, considérants 9, 11 et 12 articles 1, 2, 3et 17 eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32000L0078
Droit Polonais : Loi sur la transposition de certaines dispositions du droit de l’Union européenne en matière d’égalité de traitement du 3 décembre 2010, conditions d’application et articles 5,8 et 13.
Résumé des faits et de la procédure :
Entre 2010 et 2017, le requérant a conclu une série de contrats d’entreprise consécutifs. Dans ce cadre, il a assuré des périodes de service hebdomadaires au sein de l’organisme de télévision polonais (TP). En octobre 2017, le requérant a été évalué avec succès en vue d’une réorganisation.
Un nouveau contrat d’entreprise a été conclu au mois de novembre et un emploi du temps pour décembre a été fourni à JK.
Le 4 décembre, JK et son partenaire ont publié sur leur chaîne You Tube une vidéo visant à promouvoir la tolérance envers les couples de même sexe.
Le 6 décembre sa période de service a été annulé et le 20 décembre il a été signifié vraiment au requérant que sa collaboration n’était plus prévue.
JK a introduit un recours devant la juridiction de renvoi. Il y demandait que TP soit condamnée à des dommages et intérêts et au titre d’un préjudice moral résultant d’une violation du principe d’égalité de traitement.
La juridiction de renvoi nourrit des doutes sur la compatibilité de la Loi polonaise sur l’égalité de traitement avec le droit de l’Union. Elle pose une question préjudicielle en ce sens.
Question préjudicielle reformulée par la Cour :
311 La juridiction de renvoi demande si l’article 3 §1 a) et c) s’oppose à une réglementation nationale ayant pour effet d’exclure de la protection conférée par la directive, le refus, prétendument fondé sur l’orientation sexuelle, de conclure ou de renouveler un contratayant pour objet la réalisation de prestations dans le cadre d’une activité indépendante. Cette exclusion étant motivé au titre du libre choix du co-contractant.
Selon la Cour, cela revient à examiner l’applicabilité de la Directive à la situation en cause.
Raisonnement de la Cour :
Sur l’article 3 §1 a)2
34 La Directive ne renvoie pas au droit des États membres pour définir les notions de condition d’accès à l’emploi aux activités non salariés ou au travail. L’application uniforme du droit de l’Union et le principe d’égalité implique que des dispositions sans renvoi doivent avoir dans toute l’Union une interprétation autonome et uniforme.La cour a ici le moyen de créer ici du droit au fur et à mesure des cas qui lui sont soumis (voir en ce sens : arrêt du 2 juin 2022, HK/Danmark et HK/Privat, C‑587/20, EU:C:2022:419, point 25).
35-36 Ces notions (non définies par la Directive) doivent être interprétés conformément à leur sens dans le langage courant et en tenant compte du contexte et des objectifs de la réglementation dont ils font partie.
En premier lieu :
L’utilisation conjointe de ces notions doit être entendue au sens large comme il ressort de la comparaison des différentes versions linguistiques.
39 Il résulte des objectifs de la Directive confirmant l’interprétation textuelle de l’article 3§1 a) que le champ d’application ne saurait faire l’objet d’interprétation restrictive.
42 Selon le considérant 11, la discrimination en matière d’orientation sexuelle peut compromettre les objectifs relatifs au niveau d’emploi, de niveau et de qualité de la vie, de cohésion économique et social, de solidarité et de libre circulation.
43 La Directive n’est pas un acte de droit dérivé qui vise la protection des seuls travailleurs. Elle vise à éliminer tous les obstacles fondés sur des motifs discriminatoires ; obstacles à l’accès aux moyens de subsistance et à la contribution à la société par le travail. Ce, quelle que soit la forme juridique de fourniture du travail. (voir arrêt précité point 34).
44-46 Les activités qui consistent à la fourniture de biens ou services à un ou plusieurs destinataires ne relèvent pas du champ de la Directive. Il faut que les activités en cause soient réelles et exercées dans le cadre d’une relation juridique relativement stable. La Cour relève à cet égard que le requérant a personnellement préparé des montages audio-visuels dans le cadre d’une activité économique indépendante sur la base de contrats d’entreprise consécutifs de courte durée. KJ dépendait dans son exercice de la répartition de périodes de service hebdomadaires fixés par la hiérarchie.
47 Dès lors que l’activité peut être considérée comme réelle et effective et exercée régulièrement et personnellement au bénéfice du même destinataire ; la question de savoir si ses conditions d’accès relèvent de la Directive ne dépend pas de la qualification d’activité salariée ou non salariée.
48 En second lieu :
La question se pose de savoir si la conclusion du contrat d’entreprise en cause relève des conditions d’accès aux activités non salariés au sens de l’article 3 §1 a). Selon le gouvernement polonais, le requérant avait déjà exercé son droit d’accès à une activité non salariée avant la conclusion du contrat en cause et peut continuer à l’exercer avec d’autres destinataires que TP.
49-51 La locution « conditions d’accès vise des circonstances ou des faits l’existence doit impérativement être établis pour l’exercice d’une activité non salariée. (voir, par analogie : arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 33). Le contrat d’entreprise constitue une telle circonstance dont l’existence peut être impérative. La notion de condition d’accès au sens de l’article 3 §1 a) inclut donc la conclusion d’un contrat tel que celui qui est en cause. Le refus de conclure un tel contrat relève donc du champ d’application de cet article.
Sur l’article 3 §1 c)3
En premier lieu :
53-55 Le point c) ne fait pas expressément référence aux activités non salariées. Il se rapporte aux conditions d’emploi et de travail. En fonction de l’objectif de la Directive, mentionné au point 43, la protection ne saurait dépendre de la qualification formelle d’une relation d’emploi en droit national ou du choix fait lors des engagements. Les termes de la Directive doivent être entendus au sens large (voir point 36).
56 L’objectif poursuivi par la Directive ne saurait être atteint si elle ne permettait pas de garantir l’égalité de traitement après l’accès et donc lors de la fin de l’activité. Elle s’étend à la relation professionnelle dans son intégralité.
58 L’interprétation téléologique de l’artciel 3 §1 c) montre que la notion de conditions d’emploi et de travail vise au sens large des activités salariés et non salariés quelles que soient leur forme juridique.
En second lieu :
60-62 Le gouvernement polonais fait valoir que, en ce qui concerne la décision de ne pas renouveler, le travailleur non salarié n’est pas lié par une relation de travail pouvant conduire à un licenciement. La Cour remarque cependant que la notion de licenciement ne figure qu’en tant qu’exemple de la notion de condition d’emploi et de travail et vise la cessation unilatérale4 de la relation.
63-66 A l’instar d’un travailleur salarié licencié, un travailleur indépendant peut être contraint de fait de son contractant, de quitter son activité et de se trouver dans la même situation de vulnérabilité. C’est le cas en l’occurrence. Il s’agit bien d’une cessation involontaire d’activité assimilable à un licenciement. Cette cessation motivée selon KT par son orientation sexuelle, relève du champ d’application de l’article 3 §1 c) de la Directive.
Sur l’article 2 §5
69 Selon cet article, la Directive ne porte pas atteinte à des mesures nécessaires à la sécurité publique ; à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales ; à la protection des droits et libertés d’autrui.
71 Cet article institue une dérogation : il doit être interprété de manière stricte. (voir en ce sens : arrêt du 7 novembre 2019, Cafaro, C‑396/18, EU:C:2019:929, point 42
73-78 L’article 5 point 3 de la loi polonaise sur l’égalité de traitement5 semble poursuivre un objectif de protection des droits et libertés d’autrui au sens de l’article 2 §5 en garantissant la liberté de choisir son co-contractant (liberté contractuelle). D’ailleurs l’article 16 de la charte des droits fondamentaux (liberté d’entreprise), vise notamment le libre choix du partenaire économique. Cependant, il ne s’agit pas d’une prérogative absolue et elle ne peut permettre de refuser de contracter en raison de l’orientation sexuelle. La Directive n’aurait alors aucun effet utile. L’article 5 point 3 de la loi polonaise ne saurait justifier une exclusion de la protection contre les discriminations6.
Réponse de la Cour
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 3, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale ayant pour effet d’exclure, au titre du libre choix du contractant, de la protection contre les discriminations devant être conférée en vertu de cette directive, le refus, fondé sur l’orientation sexuelle d’une personne, de conclure ou de renouveler avec cette dernière un contrat ayant pour objet la réalisation, par cette personne, de certaines prestations dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante.
1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.
2 …La présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:
a) les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion;
3 c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;
4 La Cour suit ici les conclusion de l’avocate générale.
5 La présente loi ne s’applique pas au :
3) [libre] choix du contractant, pour autant que ce choix ne soit pas fondé sur le sexe, la race, l’origine ethnique ou la nationalité ;
6 Ceci d’autant plus que la lettre même de l’article 5 point 3 de cette loi prévoit la formule suivante : « pour autant que ce choix ne soit pas fondé sur le sexe, la race, l’origine ethnique ou la nationalité ; » bizarrement, la Cour n’a pas relevé ce point.