
FICHE COMPLÈTE , par Pierre Déjean
Travail intérimaire – Notions d’entreprise intérimaire et utilisatrice – Principe d’égalité de traitement
Affaire C-441/23 (24/10/24) LM / Omnitel Comunicaciones SL, Microsoft Ibérica SRL, Fondo de Garantía Salarial (Fogasa), Indi Marketers SL, Leadmarket SL, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/? uri=CELEX:62023CJ0441
L’arrêt :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union :
Directive 2006/54, article 2, 14 et 15. Directive – 2006/54 – FR – EUR-Lex (europa.eu)
Directive 2008/104, considérants 12 et 23, articles 1, 2, 3, 5 et 9
Directive – 2008/104 – EN – EUR-Lex
Droit Espagnol :
Real Decreto Legislativo 2/2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015), article 3, 4 et 26.
Ley 14/1994, por la que se regulan las empresas de trabajo temporal, modifiée par la Ley 35/2010, de medidas urgentes para la reforma del mercado de trabajo (loi 35/2010, sur les mesures urgentes pour la réforme du marché de travail), du 17 septembre 2010 (BOE no 227, du 18 septembre 2010, p. 79278). Loi ayant transposé la Directive 2008/104 en droit espagnol. Articles 1, 2, 12 et 15.
Résumé des faits et de la procédure :
Après un stage professionnel au sein de Microsoft et des contrats de travail successifs au sein de 3 autres entreprises, LM a conclu un contrat de travail avec une des ces entreprises (Leadmarket), afin d’effectuer des prestations de marketing au sein de Microsoft.
Microsoft n’a pas prolongé le contrat avec Leadmarket pour des raisons budgétaires alors que LM était enceinte. Par suite LM a enchaîné congé maternité parental et congés annuels. A son retour, Leatdmarket l’a informé d’une résiliation de son contrat pour raison objectives (diminution de la demande).
LM a intenté un recours devant le Jugado de lo Social de Madrid afin que soit prononcé la nullité de son licenciement, voire son caractère abusif et l’obtention de dommages et intérêts solidairement dus par Leadmarket et Micorsoft.
Microsoft a été mis hors de cause par le jugement car le tribunal a estimé que LM n’avait pas été mis à disposition. La juridiction a, en effet, relevé que Leadmarket organisait le temps et les horaires de travail, la formation et les congés. Par contre le licenciement a été considéré comme nul mais les dommages et intérêts, évoqués par la plaignante pour compenser une discrimination liée à la maternité n’ont pas été accordés.
LM a saisi le Tribunal Supérior de Justicia de Madrid. Elle a fait valoir qu’elle était en fait mise à disposition de Microsoft et que cette entreprise devait être solidairement condamnée.
Le Tibunal s’interroge sur l’application de la Directive 2008/104 à ce cas et pose en outre plusieurs questions préjudicielles.
Questions préjudicielles reformulées par la Cour1
Première question :
29 2 L’ article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104 s’applique t’elle à une entreprise qui n’est pas reconnue en tant qu’entreprise de travail intérimaire par la législation nationale ?
30 La Cour utilise ici une de ses méthodes d’interprétation favorite : l’interprétation systématique et téléologique. La Cour considère qu’une disposition du droit de l’Union doit être interprétée non seulement selon ses termes mais également en fonction du contexte et des objectifs de la réglementation dont elle fait partie.
32-35 L’article 3 ne contient aucune précision relative à la qualité de l’entreprise de travail intérimaire. Il précise seulement que l’organisme doit être une personne physique ou morale.
Selon cette même disposition, cette entreprise doit nouer les relations de travail en ayant une intention de mise à disposition. (Voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, ALB FILS Kliniken, C-427/21, EU:C:2023:505, point 44). Le nombre ou le pourcentage des travailleurs concernés n’est pas à prendre en compte. Aucun élément dans la définition de l’article 3 ne requiert la nécessité de disposer d’une autorisation administrative.
36-37 L’article 3 de la Directive s’inscrit dans un contexte qui corrobore ces interprétations (Directive « temps partiel » ; Directive « durée déterminée » ; article 153 TFUE).
38-40 L’article 1§2 de la Directive indique seulement que la Directive est applicable aux « entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent un but lucratif ou non ». Les États membres ont donc une une marge d’appréciation importante.
Cette constatation est confortée par le fait que la Directive vise à établir un cadre protecteur en assurant le principe de l’égalité de traitement par l’introduction de prescriptions minimales (considérants 12 et 23 ; articles 2 et 9).
41-42 L’application de la Directives aux seules entreprises disposant d’une autorisation administrative porterait atteinte à l’objectif et à l’effet utile de la Directive en permettant à des entreprises non soumises à une autorisation administrative d’échapper au champ d’application de ce texte alors que leur activité n’est pas substantiellement différente des entreprises qui ont obtenu l’autorisation administrative.
Réponse de la Cour :
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire, doit être interprété en ce sens que :
– cette directive s’applique à toute personne physique ou morale qui noue un contrat de travail ou des relations de travail avec un travailleur en vue de le mettre à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour y travailler de manière temporaire sous le contrôle et la direction de cette dernière, et qui met ce travailleur à la disposition de cette entreprise, même si cette personne n’est pas reconnue par la législation interne comme étant une entreprise de travail intérimaire dès lors qu’elle ne dispose pas d’une autorisation administrative en tant que telle.
Deuxième question :
44 Une entreprise non reconnue par la législation nationale en tant que entreprise de travail intérimaire relève t’elle de la notion de travail intérimaire lorsqu’elle met à la disposition d’une autre entreprise un/une salarié/ée afin qu’elle effectue son travail quotidien sous la direction de cette entreprise (interprétation de l’article 3§1 b) à d)) ?
Raisonnement de la Cour :
La Cour raisonne sur trois plans : la notion d’entreprise de travail intérimaire ; la notion de travailleur et la notion d’entreprise utilisatrice.
1) La notion d’entreprise de travail intérimaire :
51-53 Il ressort de l’article 1§1 et 2 de la Directive 2008/104 que l’entreprise de travail intérimaire conclut des contrats afin que l’entreprise utilisatrice exerce le contrôle et la direction du travailleur. Il ne suffit pas que l’un des travailleurs ou ponctuellement une partie des travailleurs d’une entreprise soit mis à disposition. Ces situations correspondraient à des prestations de service. L’application de la Directive à ces cas doit permettre au juge national de déterminer si le travailleur est « sous le contrôle et la direction » de l’entreprise qui l’utilise.
2) la notion de travailleur intérimaire :
54 Nous avons ici affaire à une « notion autonome du droit de l’Union ». Elle ne peut être interprétée que dans le cadre de l’analyse des textes de l’Union et à travers la jurisprudence de la Cour.
La notion de travailleur intérimaire définie à l’article 3§1 c) de la Directive « revêt une portée propre en droit de l’Union ». Elle ne doit pas recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux. (Voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2007, Kiiski, C-116/06, EU:C:2007:536, point 25).
55 La caractéristique essentielle de la relation de travail est l’accomplissement par une personne, pendant un certain temps, de prestations, contre rémunération, sous la direction d’une autre personne.
56 La mise à disposition est une figure « complexe et spécifique du droit du travail ». Elle implique une double relation de travail : entreprise de travail intérimaire – travailleur intérimaire ; entreprise utilisatrice – travailleur intérimaire. S’y ajoute la relation de mise à disposition nouée entre l’entreprise intérimaire et l’utilisatrice.
57 Cette relation de travail est particulière car l’entreprise de travail intérimaire conserve une relation de travail avec l’intérimaire mais transfère le contrôle et la direction (qui incombent en principe à tout employeur) à l’entreprise utilisatrice.
Un nouveau lien de subordination est ainsi créé. Le travailleur fournit la prestation contractuellement due par l’entreprise de travail intérimaire. A cet effet il se trouve sous le contrôle et la direction de l’utilisateur.
58 Le juge de renvoi doit apprécier dans chaque cas l’existence du lien de subordination et son degré en fonction de tous les éléments et circonstances de la relations entre les parties.
59 Le rapport mensuel remis à l’entreprise de travail intérimaire par l’entreprise utilisatrice est un élément d’appréciation. Il peut être pris en considération en fonction de l’objet poursuivi par ce rapport entre l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur Il n’est pas anormal que l’entreprise de travail intérimaire, employeur de ce travailleur, procède formellement à l’approbation des congés et la fixation des horaires sans que cela remette en cause la réalité du contrôle et de la direction par l’entreprise utilisatrice.
3) La notion d’entreprise utilisatrice
60 L’article 3§1 d) de la Directive prévoit l’exercice par celle ci d’un pouvoir de direction et de contrôle. Ceci implique qu’elle peut imposer le respect de règle internes et méthodes de travail mais également exercer une surveillance et un contrôle d’exécution.
Réponse de la Cour :
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :L’article 3, paragraphe 1, sous b à d) de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « travail intérimaire », au sens de cette disposition, la situation dans laquelle un travailleur est mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise qui a pour activité de conclure des contrats de travail ou de nouer des relations de travail avec des travailleurs dans le but de les mettre à la disposition d’une entreprise utilisatrice pour une certaine durée, si ce travailleur se trouve sous le contrôle et la direction de cette dernière entreprise et si celle-ci, d’une part, lui impose les prestations à réaliser, la manière de les accomplir ainsi que le respect de ses instructions et de ses règles internes et, d’autre part, exerce une surveillance et un contrôle sur la manière dont le même travailleur exécute ses fonctions.
Troisième question :
63 L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 doit il être interprété en ce sens qu’un travailleur mis à disposition doit, pendant la mission, recevoir un salaire égal à celui qu’il aurait perçu en cas de recrutent direct ?
64-65 L’article 5§1 mentionne des conditions de travail et d’emploi au moins égales et l’article 3§1 f) définit ces conditions comme étant celles établies par la réglementation et les conventions collectives et en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, notamment relatives à la rémunération.
Réponse de la Cour :
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/104 doit être interprété en ce sens que :
un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice, au sens de cette directive, doit, pendant la durée de sa mission auprès d’elle, percevoir un salaire au moins égal à celui qu’il aurait perçu s’il avait été recruté directement par cette entreprise.
1La Cour ne répond qu’à 3 questions sur les 5 posés estimant que les 2 autres sont hypothétiques ou qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments.
2Pour une lecture plus aisée des raisonnement de la Cour nous reprenons sa numérotation.