Affaire C-584/23 (12/04/25) JK/TP S.A
L’arrêt et les parties :
L’arrêt concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 3 de Barcelona (tribunal du travail no 3 de Barcelone, Espagne), par décision du 18 septembre 2023, parvenue à la Cour le 21 septembre 2023, dans la procédure.
Les parties sont : KT requérante – contre – Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) ; Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union
Directive 79/7 relative à la mise en œuvre de l’égalité hommes femmes dans le domaine de la Sécurité sociale, articles 1 et 3§1 et2. Directive – 79/7 – FR – EUR-Lex.
Directive 2006/54 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, articles 1 et 2. Directive – 2006/54 – FR – EUR-Lex.
Droit espagnol :
Article 37 de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224).
Article 60 du Reglamento de aplicación del texto refundido de la legislación de accidentes del trabajo du 22 juin 1956 (BOE no 197, du 15 juillet 1956).
Article 237 de la Ley General de la Seguridad Socialdu 30 octobre 2015 (BOE no 261, du 31 octobre 2015, p. 103291).
Résumé des faits et de la procédure :
KT employée comme caissière a bénéficié d’une mesure de réduction du temps de travail pour garde d’enfant qui a varié depuis le 2 janvier 2008. Cette mesure impliquant une réduction proportionnelle de salaire devait prendre fin le 6 octobre 2019.
Le 13 avril 2019, elle a été victime d’un accident du travail et à compter du 29 octobre elle a été en incapacité temporaire. Elle a été licenciée le 14 juin 2019 et a dû être opérée le 1er février 2021. Le 2 août 2021 elle a été reconnue en incapacité permanente totale. Elle s’est vue attribué une pension calculée sur la base de son salaire à la date de l’accident soit 50 % du temps plein.
Le Jugado de lo Social n°3 de Barcelone (juridiction de renvoi) a reçu son recours contre le rejet de sa demande par l’INSS. Ce recours tend à ce que le calcul de sa pension soit basé sur son salaire à temps plein.
KT argue du fait que le texte qui fixe la base de la pension fondée sur la rémunération effective (en l’occurrence minorée) à la date de l’accident crée une discrimination indirecte fondée sur le sexe. En effet, le travailleuses seraient défavorisées par ce texte car elles bénéficient majoritairement de mesures de réduction pour garde d’enfants.
Question préjudicielle reformulée par la Cour :
231 La juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 8 TFUE, les articles 21 et 23 de la Charte, l’article 4 de la directive 79/7 ainsi que l’article 5 de la directive 2006/54 afin de savoir si ces textes s’opposent à la réglementation nationale en matière de fixation de la base des pensions.
Raisonnement de la Cour :
25-26 Seule la Directive 79/7 est pertinente pour la réponse à apporter car la prestation en cause relève d’un régime légal de protection contre les accidents du travail et le risque d’invalidité. La Directive 2006/54 ne s’applique pas à ces risques.
27-29 L’article 4 de la Directive 79/7 concrétise l’article 8 TFUE et 21 et 23 de la Charte en matière de sécurité sociale. Il convient donc de savoir si l’article 4§1 s’oppose à une réglementation qui prévoit que la pension d’incapacité permanente est calculée sur la base du salaire perçu à la date de l’accident, notamment dans le cas d’un groupe de travailleurs/euses qui bénéficient d’une réduction du temps de travail pour s’occuper d’un enfant, situation qui concerne essentiellement des femmes.
30-31 Le droit de l’Union respecte la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de Sécurité Sociale, notamment en ce qui concerne les conditions d’octroi des prestations. Cependant, dans ce cadre, les Etats doivent respecter le droit de l’Union. Sous cette réserve, les Etats peuvent choisir de fixer la pension en tenant compte du salaire effectivement perçu à la date de l’accident mais ils doivent donc respecter l’article 4§1 qui implique l’absence de discrimination fondée directement ou indirectement sur le sexe.
32-33 La réglementation en cause n’établit aucune discrimination directe fondée sur sexe car elle s’applique indistinctement aux hommes et aux femmes. Il convient de déterminer si la discrimination n’est pas indirecte. La Cour rappelle qu’une discrimination indirecte est l’application d’une « disposition, d’un critère ou la mise en œuvre d’une pratique apparemment neutre » désavantageuse pour une personne d’un sexe en particulier. Sauf si il existe une justification objective en fonction d’un but légitime et que les moyens employés « soient appropriés et nécessaires ». [voir en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, INSS (Cumul de pensions d’invalidité professionnelle totale), C 625/20, EU:C:2022:508, point 33].
34-36 Il convient donc d’apporter la preuve du fait qu’une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe est affectée par la mesure en cause. Le juge national disposant de données statistiques, la Cour a déjà jugé qu’il faut comparer les proportion de travailleurs affectés au sein des mains-d’œuvre masculine et féminine. (voir en ce sens, arrêt précité, point 40). Le juge national doit apprécier la fiabilité de ces données. Il doit déterminer si elles ne sont pas l’expression de phénomènes fortuits et conjonctures et si elles sont suffisamment significatives (voir en ce sens, arrêt précité, point 41).
37 Dans le cadre de la procédure de coopération entre juridictions nationales et communautaires le juge national est seul compétent pour apprécier les faits cependant la Cour peut lui fournir tous les éléments d’interprétation utiles relevant du droit de l’Union.
40-42 La règle de calcul qui prévoit de tenir compte du salaire effectivement perçu au jour de la fixation de la pension concerne l’ensemble des travailleurs bénéficiant d’une mesure de réduction du temps de travail et pas seulement de celles et ceux qui ont bénéficié de la mesure pour s’occuper d’un enfant. Sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi la mesure en cause n’intervient qu’à partir de la troisième année de réduction du temps de travail.
43 Selon la jurisprudence de la Cour, la Directive 79/7 n’oblige pas les Etats à accorder des avantages aux personnes qui ont élevé des enfants ou « à prévoir des droits à prestations à la suite de périodes d’interruption d’activité due à l’éducation des enfants » (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho, C 537/07, EU:C:2009:462, points 61 et 62).
45 Les données statistiques fournies par la Trésorerie Générale de la Sécurité Sociale ne ciblent pas l’ensemble des travailleurs spécifiquement désavantagés par la mesure en cause. Sur la base des documents décrits dans la question préjudicielle, cette mesure ne saurait donc être considéré comme désvantageant les femmes. Si la juridiction de renvoi dispose d’éléments permettant d’établir un désavantage, elle devra vérifier si la réglementation concernée « poursuit un but légitime et si elle est nécessaire et proportionnée à ce but ».
Réponse de la Cour :
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
| L’article 4§1 de la Directive 79/7 ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui prévoit que la pension d’incapacité permanente résultant d’un accident du travail est calculée sur la base du salaire effectivement perçu par le travailleur à la date de l’accident, y compris s’agissant d’un travailleur qui bénéficiait, à cette date, d’une mesure de réduction du temps de travail pour s’occuper d’un enfant, dans une situation où le groupe de travailleurs qui bénéficient d’une telle mesure serait très majoritairement constitué de femmes. |
1Pour une lecture aisée des raisonnements de la Cour, chaque § résumé est affecté du numéro que la Cour lui a donné.