Possibilité d’octroyer un complément de pension aux hommes, soumise à des conditions supplémentaires 


FICHE COMPLÈTE, par Pierre Déjean


  Affaires jointes C-623/23 et C -626/23 – 15/05/2025

L’arrêt et les parties  :

Deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites, la première, par le Juzgado de lo Social no 3 de Pamplona (tribunal du travail no 3 de Pampelune, Espagne), et, la seconde, par le Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid, Espagne), par décisions du 21 septembre 2023 et du 13 septembre 2023, parvenues à la Cour respectivement le 6 octobre 2023 et le 12 octobre 2023, dans les procédures

Les parties sont : UV et XXX requérants

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS)

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union :

  • Les articles 1, 2,3,4, 7 de la Directive 79/7/CEE concernant l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.
  • Charte des droits fondamentaux de l’Union.

Droit espagnol :

– Le Décret-loi royal 3/2021, portant adoption de mesures visant à réduire l’écart entre les sexes et ayant trait à d’autres matières relevant des domaines de la sécurité sociale et de l’économie), du 2 février 2021 (BOE no 29, du 3 février 2021, p. 12268) modifiant l’article 60 de la LGSS (Loi générale sur la sécurité sociale).

L’article 60 de La LGSS modifié prévoit que les femmes qui ont eu un ou plusieurs enfants et qui bénéficient d’une pension de retraite d’incapacité ou de veuvage ont automatiquement droit à un complément pour chaque enfant. Pour les hommes ce complément est possible s’il répondent à certaines conditions (Pension de veuvage ou interruption de carrière à l’occasion d’une naissance ou d’une adoption) Dans le cas où les 2 parents sont en « concurrence », le complément est accordé à celui où celle qui perçoit la pension la moins élevée

– La Loi organique 3/2007 pour l’égalité effective entre femmes et hommes), du 22 mars 2007 (BOE no 71, du 23 mars 2007, p. 12611), article 3 et 11.

Résumé des faits et de la procédure :

Affaire c 623/23

UV a une pension de retraite. Il a 2 enfants et a demandé un complément de pension.

L’INSS a rejeté cette demande au motif qu’il ne remplissait pas les conditions prévues par la législation (LGSS modifiée article 60 – voir encadré supra)

Le complément de pension a été attribué à la mère qui par ailleurs à une pension de base plus importante que le père.

UV introduit un recours contre la décision de rejet Devant le tribunal du travail numéro 3 de Pampelune, juridiction de renvoi, qui pose 2 questions préjudicielles.

Affaire C626/23

Un père de 3 enfants s’est vu attribuer une pension de retraite. Il demande le complément de pension. Sans réponse de l’INSS, il introduit un recours devant le tribunal du travail numéro 4 de Madrid qui rejette sa demande.

La cour supérieure de justice de Madrid, juridiction de renvoi, est saisie d’une demande du plaignant faisant valoir que les hommes sont soumis à des conditions pour obtenir le complément alors que ce n’est pas le cas des femmes (voir supra encadré)

L’exposé des motifs ayant conduit à l’article 60 modifié justifie la différence de traitement en faveur des femmes du fait qu’elles ont historiquement assuré un rôle principal dans l’éducation des enfants. Ainsi l’article 60 instaurerait une mesure d’action positive en faveur des femmes bien que sous certaines conditions les hommes aient accès aux compléments de pension.

La juridiction de renvoi doute de cette justification. Elle pose une question préjudicielle.

Questions préjudicielles reformulées par la Cour :

Question 1 Affaire 623/23 et question unique Affaire 626/23

49 Les articles 4 et 7§1b) de la Directive 79/7 (Voir l’hyper lien ci dessus) lu à la lumière de l’article 23 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union s’opposent ils à une réglementation nationale selon laquelle un complément de pension est octroyé aux femmes automatiquement dès le moment où elles ont eu un ou plusieurs enfants alors que ce complément n’est accordé aux hommes que sous certaines conditions.

52-53 Suite à un arrêt de la Cour (Voir arrêt du 12 /12/ 2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères) (C 450/18EU:C:2019:1075)), le droit à complément de pension a été également attribuée aux hommes, mais il a été attribué sous condition.

Selon l’I.N.S.S. et le gouvernement espagnol, la législation modifiée se fonde sur la présomption que l’éducation des enfants est prise en charge en principe par les femmes au détriment de leur carrière cette présomption ne pourra être renversée que si des conditions sont réunies permettant de considérer que c’est l’homme qui s’est consacré à l’éducation des enfants. La Cour constate que les modifications apportées n’ont pas mis fin à l’existence d’un traitement moins favorable aux hommes. Pour les hommes, la seule qualité de parent n’est pas suffisante alors qu’elle l’est pour les femmes.

57-58 Il convient de vérifier si hommes et femmes concernés se trouvent dans des situations comparables. Il faut le vérifier de manière spécifique et concrète en ce qui concerne les situations en cause. La réglementation en cause a pour objectif de réduire l’écart entre entre les sexes en compensant le préjudice financier que les mères subissent dans leur carrière et qui se traduit par le versement de cotisations moindres et de prestations réduites.

60 La Cour a déjà jugé que dans le cadre d’un tel objectif les travailleurs féminins et masculins ayant assumé l’éducation de leurs enfants se trouvent dans une situation comparable. Cela n’est pas remis en cause par le fait que dans la pratique les femmes assurent majoritairement l’éducation des enfants.

71 L’article 23 de la Charte et 157 paragraphe 4 du TFUE n’empêchent pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques pour faciliter l’exercice d’une activité professionnelle pou le sexe sous-représenté, en l’occurrence les femmes.

73 C’est ce que fait valoir l’INSS. Cependant selon la Cour, (Voir l’arrêt du 12/12/2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social, précité point 65), cet article 147 ne saurait s’appliquer à l’article 60 de la LGSS qui se borne à accorder aux femmes un complément de pension sans remédier aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer dans leur carrière. Cette argumentation valait pour l’ancienne réglementation, elle vaut également pour l’actuelle réglementation. Ainsi la réglementation en cause ne saurait être justifié en fonction de l’article 23 de la Charte.

Réponse de la cour :

Là directive 79/7 ( article 4 et7§1b) s’oppose a une réglementation nationale selon laquelle les femmes ont un droit à complément de pension alors que ce droit et subordonné pour les hommes à certaines conditions.

Question 2 Affaire C 623/23

86 la directive 79/7 s’oppose elle à ce que, lorsque une réglementation nationale jugée discriminante aboutit au rejet d’une demande introduite par le père et que le père doit se voir octroyé le complément ; cet octroi entraîne il la suppression du complément déjà accordé à la mère sachant que le complément ne peut être octroyé qu’à celui des parents dans le montant de pensions est le moins élevé et que ce parent est le père ?

87 Lorsque une discrimination a été constatée, le principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi des mêmes avantages à la catégorie défavorisé ; cela tant que les mesures de rétablissement de l’égalité n’ont pas été adoptées. Le juge national est alors tenu d’écarter toute disposition nationale discriminatoire sans demander ou attendre l’élimination de cette disposition par le législateur. Il appliquera à la partie défavorisée le même régime que celui de la partie favorisée. (Voir arrêt du 14 septembre 2023, TGSS (Refus du complément de maternité), C 113/22EU:C:2023:665, point 41).

88 Dans le cas en cause, le père se verra attribuer le complément et ce complément sera supprimé de la pension de la mère car selon la réglementation nationale, ce complément ne peut être accordé qu’à un seul parent : celui qui perçoit la pension la moins élevée c’est le cas du père. Cette suppression ne se prive pas des faits utiles : le constat du caractère discriminatoire de la réglementation en cause, car cette suppression n’est que la conséquence de l’application qui opère des mêmes conditions que celles applicables à la mère

Réponse de la cour :

la directive ne s’oppose pas à ce que dans le cas où la demande de complément introduite par un père est rejetée en vertu d’une réglementation national discriminatoire où le père doit se voir octroyer le complément. Cet octroi entraîne la suppression du complément attribué à la mère Lorsque au terme de la réglementation le complément ne peut être octroyé car celui des parents qui a la pension la moins élevée et que ce parrain est le père.