Refus d’octroi d’une carte électronique de formation à des enseignants effectuant des activités d’enseignement à durée déterminée de courte durée

Fiche Complète par Pierre Déjean

Affaire C‑268/24 03/07/2025

L’arrêt et les parties  :

Demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Lecce (tribunal de Lecce, Italie), par décision du 16 avril 2024, parvenue à la Cour le 16 avril 2024, dans la procédure.

Les parties sont : ZT, requerrant – contre – Ministero dell’Istruzione e del Merito,

Le droit applicable au litige :

Droit de l’Union :

Droit italien :

  • Décret législatif no 297, portant approbation du texte unique des dispositions applicables en matière d’enseignement et relatives aux écoles de tout type et de tout niveau, du 16 avril 1994 (GURI no 115, du 19 mai 1994, supplément ordinaire no 79), article 282.
  • Loi no 124, portant dispositions urgentes concernant le personnel scolaire, du 3 mai 1999 (GURI no 107, du 10 mai 1999, article 4§ 1 à 3.
  • Loi no 107, portant réforme du système national d’instruction et de formation et délégation pour le remaniement des dispositions législatives en vigueur, du 13 juillet 2015 (GURI no 162, du 15 juillet 2015) Article 1§ 121 à 124.

Résumé des faits et de la procédure :

ZT a effectué divers remplacements dans des établissements scolaires de 2020 à 2022. Elle a demandé à bénéficier d’une carte électronique d’une valeur de 500 euros lui donnant accès à plusieurs contenus de formation.

Le ministère n’ayant pas fait droit à sa demande, elle à formé un recours devant le Tribunal de Lecce (juridiction de renvoi) estimant que ce refus est contraire à la clause 4 de l’accord cadre sur le travail à durée déterminée.

La juridiction de renvoi indique que la législation italienne distingue les remplacements calés sur l’année scolaire et les remplacements de courte durée. Elle estime qu’il ressort des motifs d’une jurisprudence de la Cour de cassation italienne que la carte électronique est due aux remplaçants annuels mais non aux remplaçants de courte durée.

La Cour de cassation aurait ainsi considéré que le législateur avait établi un lien entre le caractère annuel de l’enseignement et l’octroi de la carte, lien qui serait altéré par l’octroi de la carte à des enseignants effectuant des prestations de courte durée (même si le total de leurs prestation s’avère égal à celui des enseignants qui bénéficient de la carte).

La juridiction de renvoi, estimant que les prestations effectués par les uns et les autres sont du même type pose des questions préjudicielles sur l’application de la clause 4 de l’accord cadre à la situation en cause.

Question préjudicielle reformulée par la Cour :

281La clause 4 point 1 de l’accord cadre s’oppose t’elle à un règlementation (telle qu’interprétée par la Cour de Cassation) qui refuse le droit à l’octroi de la carte de formation électronique à des enseignants de courte durée ?

Clause 4 points 1 et 2 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. 2. Lorsque c’est approprié, le principe du « pro rata temporis » s’applique.

Raisonnement de la Cour :

36-38 La Cour a déjà jugé que la clause 4 de l’accord s’oppose à une réglementation nationale réservant l’octroi de la carte électronique au seul personnel permanent par opposition au personnel à durée déterminée, (Voir en ce sens, ordonnance du 18 mai 2022, Ministero dell’istruzione (Carte électronique) (C‑450/21EU:C:2022:411), point 48.) La Cour de cassation italienne a repris cette jurisprudence tout en l’excluant pour les enseignants qui effectuent de prestations de courte durée.

39-40 La Cour rappelle que l’accord cadre a vocation à s’appliquer à « l’ensemble des travailleurs » 2 à durée déterminée. (ordonnance du 18 mai 2022, précitée). embauchés à durée déterminée les enseignant que interviennent en courte durée relèvent donc de l’accord.

4145 L’interdiction des discriminations concerne les « conditions d’emploi ». En ce domaine, le critère décisif est celui de la relation de travail. La Cour a déjà considéré que la carte électronique relève des conditions d’emploi (ordonnance du 18 mai 2022, précitée). Cette interdiction doit concerné des travailleurs en situation comparable.

50-51 Exclure une partie des travailleurs à durée déterminée de l’avantage de la carte réduirait de manière indue le champ d’application de l’accord cadre qui doit s’appliquer à l’ensemble des travailleurs à durée déterminée. La réglementation nationale institue une différence de traitement au détriment des enseignants intervenants en courte durée.

52-53 En fonction de facteurs, tels que la nature du travail, les conditions de formation et les conditions d’emploi convient d’examiner si la requérante est en situation comparable avec ses collègues bénéficiant de la carte.

55-56 La juridiction de renvoi souligne que la requérante a assumé les mêmes tâches et fonctions que les enseignants titulaires. Elle ajoute que les non titulaires sont soumis aux mêmes devoirs et obligations de formation indépendamment de la durée de leur activité. Les fonctions exercées apparaissent donc comparables.

60-61 Rien n’indique que le caractère bref et occasionnel des remplacements soit de nature à modifier substantiellement les fonctions et la nature du travail ou les conditions de son exercice, (Voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22EU:C:2023:933, point 68). La durée du travail n’est pas un élément pertinent pour apprécier le caractère comparable des fonctions.

62-63 Il convient alors de déterminer si des raisons objectives au sens de la clause 4 point 1 justifient la différence de traitement. La Cour rappelle sa jurisprudence : il faut se déterminer en fonctions d’éléments précis et concrets ; en contexte ; sur le fondement de critères objectifs et transparents. Il sera ainsi possible de vérifier si la différence répond à un besoin véritable et est de nature à atteindre les objectifs poursuivis et est nécessaire à cet effet. Ces derniers éléments pouvant résulter de la nature des taches et leurs caractéristiques ou de la poursuite d’un objectif de politique sociale de l’État membre.

64-65 Selon les motifs de la décision de la Cour de cassation (sus mentionnés dans faits et procédures), l’Etat italien aurait choisi de ne soutenir par le biais de la carte électronique que des enseignements dispensés dans le cadre annuel ; ce qui expliquerait la différence de traitement. Le gouvernement italien ajoute que, dans ce contexte, la différence tient à la nature particulière des tâches effectués par les enseignants en courte durée. Il évoque également des considérations budgétaires.

67-68 Si la carte électronique a pour but de soutenir un enseignement organisé sur le cadre annuel, il faut au moins que la différence de traitement réponde à un besoin véritable et ne résulte pas d’un choix résultant exclusivement « de manière générale et abstraite » sur la durée de l’emploi [Voir, en ce sens, arrêt du 20 février 2024, X (Absence de motifs de résiliation), C‑715/20EU:C:2024:139, point 63]. La juridiction de renvoi doit le vérifier. Dans l’affirmative, les objectifs de la Directive et de l’accord cadre seraient vidés de leur sens et une situation défavorable serait pérennisée.

69 Outre le fait de répondre à un besoin véritable, faut il encore que la différence permette d’atteindre l’objectif ; soit nécessaire à cet effet et que l’objectif soit poursuivi de manière cohérente et systématique (arrêt du 20 février 2024, X, précité).

71 Les enseignants en courte durée semblent exercer une activité d’enseignement qui s’inscrit dans la programmation annuelle ; il apparaît donc incohérent d’exclure ces activités au regard de l’objectif consistant à améliorer la qualité de l’enseignement annuel.

73 La différence de traitement semble excéder le nécessaire car les enseignants titulaires peuvent bénéficier de la carte indépendamment du fait de savoir s’ils exercent une activité s’inscrivant dans le cadre annuel. La Commission note même que les enseignants en cause peuvent nécessiter des besoins de formation plus importants.

74 Si les considérations budgétaires peuvent être à la base de choix de politique sociale, elles ne peuvent pas être en elles mêmes un objectif poursuivi.

75 La réglementation nationale ne semble pas faire application du principe prorata temporis car le montant de la carte est fixe et ne dépend pas des périodes travaillées.

Réponse de la Cour :

La clause 4.1 de l’accord cadre sur le travail à durée déterminée s’oppose à une réglementation « telle qu’interprétée par la juridiction nationale suprême » réservant le bénéfice de la carte électronique de formation aux enseignants titulaires et aux enseignants non titulaires exerçant sur l’année et excluant les enseignants qui interviennent en courte durée. Le fait que l’activité de ces dernier n’a pas vocation à durée jusqu’au terme de l’année scolaire n’est pas une raison objective justifiant la différence.

1La numérotation reprend celle de la Cour.

2Les termes entre guillemets et en italique sont strictement ceux employés par la Cour et sont d’une particulière importance.