FICHE COMPLÈTE par Pierre Déjean
Affaires jointes C 212/24, C 226/24 et C 227/24 – 08/05/2025
L’arrêt et les parties :
Demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte d’appello di Firenze (cour d’appel de Florence, Italie), par décisions du 8 janvier 2024, parvenues à la Cour les 19 et 26 mars 2024, dans les procédures.
Les parties sont : L. T. s.s. (C 212/24), A.M. (C 226/24), XXX (C 227/24), requerrants
contre Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),
en présence de : Agenzia delle entrate – Riscossione,
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union :
Droit italien :
- Décret-loi no 338, portant dispositions urgentes en matière d’évasion sociale, de fiscalisation des charges sociales, de réductions de cotisations sociales dans le Sud et de financement des instituts de patronage (GURI no 237, du 10 octobre 1989), article 1§1
- L’article 30, paragraphe 1, de la CCNT (convention collective concernant les travailleurs agricoles)
Résumé des faits et de la procédure :
Les requérantes ont employé des travailleurs agricoles à durée déterminée. L’INSS (Institut National de la Sécurité sociale) leur a demandé des versements complémentaires du fait d’un calcul erroné. Selon l’INSS elles avaient tenu compte des heures effectivement travaillées au lieu de se baser sur la journée de travail de 6h ½ prévue par la convention collective.
La Cour d’Appel de Florence a jugé que la position de l’INSS était fondée.
La Cour de Cassation italienne a au contraire jugé que les cotisations ne devaient être calculées qu’en fonction du travail effectif. Elle a par ailleurs estimé que les rapports entre l’INSS et les employeurs en matière de cotisations de sécurité sociale ne relèvent pas du droit de l’Union.
La Cour d’Appel de Florence ressaisie par la Cour de Cassation s’interroge sur la compatibilité de l’interprétation faite par la Cour de Cassation avec l’article 4.1 de l’accord cadre. Elle pose une question préjudicielle en ce sens.
Question préjudicielle reformulée par la Cour :
38 La clause 4.1 de l’accord cadre s’oppose t’elle à une réglementation qui prévoit que les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs du secteur agricole sont calculées en fonction des heures de travail effectivement accomplies alors que les cotisations qui concernent les travailleurs à durée indéterminée sont calculés sur la base d’une durée journalière prédéfinie par le droit national ?
| Clause 4 points 1 et 2 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. 2. Lorsque c’est approprié, le principe du « pro rata temporis » s’applique. |
Raisonnement de la Cour :
41 la clause 4.1 de l’accord cadre interdit de traiter les travailleurs à durée déterminée de manière moins favorable en ce qui concerne les « conditions d’emploi », à moins qu’un traitement différent ne soit jusitifié par raisons objectives. La clause 4 a « un effet direct »1.
42-43 Il ressort de la clause 2.1 que l’accord s’applique aux CDD définis par la législation nationale (textes législatifs et conventions collectives) ce qui est le cas en l’occurrence.
44-45 Le critère de la notion de « conditions d’emploi » est précisément celui de l’emploi, donc de la relation de travail. Cette notion englobe les conditions de rémunération. Les instances nationales doivent appliquer le principe de non-discrimination aux éléments constitutifs de la rémunératon et au nieau de ces éléments (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C 268/06, EU:C:2008:223, points 130 et 134).
46 Donc, les pensions qui sont fonction de la relation d’emploi relèvent de la notion de rémunération à l’exclusion de celles qui découlent d’un système légal de financement. Une pension qui n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, qui est « directement » fonction du temps de service accompli et dont le montant est calculé en fonction de ce temps relève de la clause 4.
47 Si les cotisations en cause n’intéressent que les travailleurs agricole et répondent aux critères précédents (vérification nécessaire par le juge national), elles peuvent relever des conditions d’emploi.
48 La clause 4.1 est une « expression particulière du principe de non discrimination.« (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2019, Ustariz Aróstegui, C 72/18, EU:C:2019:516, point 28 ).
Sur le caractère moins favorable :
49-51 Pour que les travailleurs soient fondés à revendiquer le bénéfice de la clause 4.1, il convient d’apprécier s’ils sont traités de manière moins favorable que leurs collègues travaillant à durée indérminée et s’ils sont en situation comparable. La clause 3.2 prévoit qu’est en situation comparable, le travailleur qui a un contrat ou une relation de travail dans le même établissement et un travail identique ou similaire en termes de qualification et compétences. Ceci doit être apprécié compte tenu notamment de la nature du travail, des conditions de formation et de travail2. En ce qui concerne le caractère moins favorable il apparaît que les cotisations de sécurité sociale peuvent être versés à des travailleurs agricoles à durée indéterminé pour des heures de travail non accomplies du fait de la base forfaitaire fonction d’une réglementation générale et abstraite alors que cette possibilité est exclue pour les travailleurs à durée déterminée.
52-53 Les requérantes évoquent le principe « prorata temporis ». La clause 4.2 prévoit son application « lorsque c’est approprié ». La Cour considère que cette clause souligne les conséquences de l’application du principe de non-discrimination. Elle ne porte pas atteinte à la teneur de ce principe, (voir en ce sent arrêt du 15 avril 2008, Impact, C 268/06, EU:C:2008:223, point 65). Le prorata temporis ne peut donc justifier des méthodes de comptabilisation distinctes. Les références temporelles de calcul ne sont pas l’application du principe de non discrimination et elles désavantagent les salariés en relation à durée déterminée.
Sur les raisons objectives :
57-58 Le fait que la différence de traitement soit prévue par une norme générale et abstraite (loi ou convention collective) ne constitue pas une raison objective au sens de la clause 4.1. De plus, admettre que la seule nature temporaire de la relation suffit à justifier une différence de traitement viderait « de leur substance les objectifs de … l’accord cadre ».
59 Les requérantes ont évoqué comme raison objective le fait que les salariés à durée déterminée sont employés en courte durée pour un travail saisonnier ou occasionne ou pour des remplacements. Ces raisons seraient liées au spécificités du travail agricole ne nécessitant pas 6h ½ par jour ou 39h/semaine. Les requérantes évoquent le 3° alinéa du préambule de l’accord cadre qui reconnaît que l’application des principes généraux et des prescriptions de l’accord doit prendre en compte les réalités des situations nationales, saisonnières et sectorielles.
60 les requérantes soutiennent que les travailleurs à durée déterminée ne sont pas nécessairement à disposition de l’employeur pendant 6h ½ ou 39 h/semaine. Cependant, cet argument n’explique pas pourquoi les travailleurs à durée indéterminé voient leur temps de travail fixé à 39 h/semaine avec pour conséquence le versement de cotisations de 6 h/ ½ par jour indépendantes du travail qu’ils réalisent effectivement dans la journée.
Réponse de la Cour :
La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée s’oppose à une réglementation nationale, « telle qu’interprétée par une juridiction nationale suprême », en vertu de laquelle les cotisations de sécurité sociale, dues par des employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée déterminée en vue de financer des prestations d’un régime professionnel de sécurité sociale, sont calculées en fonction des rémunérations versées à ces travailleurs pour les heures de travail journalières qu’ils ont effectivement accomplies, tandis que les cotisations de sécurité sociale dues par les employeurs qui emploient des travailleurs agricoles à durée indéterminée sont calculées sur la base d’une rémunération établie pour une durée de travail journalière forfaitaire, telle que fixée par le droit national, indépendamment des heures effectivement accomplies.
1 Les termes entre guillemets son strictement ceux employés par la Cour. Lorsqu’ils sont d’une particulière importance, ils sont mis en italique.
2 La Cour note de plus, dans son point 54, que l’article 18 a) de la convention collective applicable précise que les travailleurs agricoles à durée déterminée et les travailleurs agricoles à durée indéterminée exercent un travail identique ou similaire.