Affaire C‑823/24, ARRÊT DE LA COUR (Ordonnance) – (neuvième chambre)
10 juillet 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Absence de traitement moins favorable des travailleurs à durée déterminée – Octroi de certains éléments de rémunération uniquement aux travailleurs à durée indéterminée – Travailleurs à durée déterminée percevant une rémunération horaire plus élevée que celle des travailleurs à durée indéterminée »
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale ordinario di Trento (tribunal ordinaire de Trente, Italie), par décision du 18 novembre 2024, parvenue à la Cour le 3 décembre 2024, dans la procédure
KP, HG, MC, VM contre Centro Servizi Culturali Santa Chiara,
LA COUR (neuvième chambre), composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur) et M. Condinanzi, juges, avocat général : M. J. Richard de la Tour, greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant KP, HG, MC et VM au Centro Servizi Culturali Santa Chiara (centre de services culturels Santa Chiara, Italie) (ci-après le « Centre des services culturels ») au sujet du versement de deux primes de flexibilité et d’un supplément de rémunération au titre de la relation de travail à durée déterminée qui les unissait.
Le cadre juridique
3 Aux termes de l’article 1er de la directive 1999/70, celle-ci vise « à mettre en œuvre l’accord-cadre […], conclu […] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ».
4 La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non-discrimination », prévoit, à son point 1 :
« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent [ne] soit justifié par des raisons objectives. »
5 La clause 8 de l’accord-cadre, intitulée « Dispositions sur la mise en œuvre », stipule, à son point 1 :
« Les États membres et/ou les partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs que celles prévues dans le présent accord. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
6 Le 26 avril 2014, le Centre des services culturels et certaines organisations syndicales ont signé un accord additionnel (ci-après l’« accord syndical de 2014 ») au contratto collettivo nazionale di lavoro per gli impiegati e gli operai dipendenti dai teatri stabili pubblici e dai teatri gestiti dall’Ente teatrale italiano (convention collective nationale de travail pour les employés et les ouvriers des théâtres stables et des théâtres gérés par l’Institution théâtrale italienne, ci-après la « convention collective »), qui prévoyait, notamment, le versement d’une rémunération supplémentaire d’entreprise aux travailleurs qui, selon cette convention, étaient classés au niveau 3 ainsi que le versement d’une prime de flexibilité mensuelle au personnel technique chargé de la régie des plateaux de théâtre confiés à ce centre. Par un accord ultérieur, signé le 16 octobre 2018 (ci-après l’« accord syndical de 2018 »), le montant de cette prime a été augmenté. Ce dernier accord prévoyait également le versement d’une prime de flexibilité horaire au personnel technique engagé sur la base d’un contrat à durée indéterminée.
7 Entre le mois de septembre 2014 et le mois de juin 2018, KP, HG, MC et VM étaient employés par le Centre des services culturels en tant que techniciens de plateau classés audit niveau 3, dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée dits « à la demande ». Entre le mois de septembre 2018 et le mois de juin 2020, ces travailleurs étaient employés par ce centre, avec ce même classement, pour exercer les mêmes tâches que celles effectuées dans le cadre de ces derniers contrats de travail à durée déterminée, et ce dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée dits « saisonniers ». Au mois de septembre 2020, ils ont été engagés par le même centre dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée.
8 Les primes de flexibilité instaurées par les accords syndicaux de 2014 et de 2018 (ci-après les « primes de flexibilité ») n’ont été accordées auxdits travailleurs qu’à partir du mois de septembre 2018, tandis que la rémunération supplémentaire d’entreprise instaurée pas ces accords ne leur a été accordée qu’à partir du mois de septembre 2019.
9 Les mêmes travailleurs ont saisi le Tribunale ordinario di Trento (tribunal ordinaire de Trente, Italie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à la reconnaissance de leur droit aux primes de flexibilité pour la période allant du mois d’octobre 2016 au mois de juin 2018 ainsi qu’à la rémunération supplémentaire d’entreprise pour la période allant du mois d’octobre 2016 au mois de juin 2019, en faisant valoir que le fait de réserver, au cours de ces périodes, le versement de ces éléments de rémunération aux seuls travailleurs à durée indéterminée constitue une discrimination interdite par la clause 4 de l’accord-cadre.
10 Devant la juridiction de renvoi, le Centre des services culturels soutient que, lorsqu’ils étaient engagés dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée à la demande, les requérants au principal ont perçu une rémunération supérieure à celle perçue par les travailleurs à durée indéterminée effectuant les mêmes tâches.
11 Ce centre fait valoir également que, en tant qu’entité économique publique, rattachée à la Province autonome de Trente (Italie) et contrainte par des limites budgétaires ainsi que par la nécessité d’assurer le maintien dans l’emploi d’un personnel hautement qualifié, il dispose du pouvoir discrétionnaire de prévoir le versement de rémunérations différentes dans le cadre des contrats de travail à durée déterminée et des contrats de travail à durée indéterminée, quand bien même les tâches accomplies par les travailleurs dans le cadre de ces contrats seraient similaires.
12 À cet égard, le Centre des services culturels précise que le fait que les travailleurs engagés dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée à la demande perçoivent une rémunération plus élevée que celle perçue par les travailleurs engagés sur la base de contrats de travail intermittents à durée indéterminée est motivé par la circonstance que, ces derniers travailleurs ne pouvant pas prendre d’autres engagements professionnels sans l’autorisation de la direction de ce centre, ils ont droit à une indemnité mensuelle de disponibilité, à laquelle ces premiers travailleurs, qui ne sont pas soumis à une telle limitation, ne peuvent pas prétendre.
13 Ce centre souligne, en outre, que l’octroi des primes de flexibilité aux seuls travailleurs à durée indéterminée avait pour but de compenser le traitement moins favorable réservé à ces derniers en ce qui concerne la compensation des heures supplémentaires éventuellement effectuées, qui étaient comptabilisées, dans le cas de ces travailleurs, dans leur compte épargne-temps, alors que les travailleurs à durée déterminée percevaient une compensation monétaire forfaitaire, qu’ils aient effectué ou non des heures supplémentaires. Le versement des primes de flexibilité aurait été étendu aux travailleurs à durée déterminée à partir du mois de septembre 2018 en raison de la suppression du régime de compensation forfaitaire des heures supplémentaires qui était applicable à ces travailleurs.
14 Quant à la rémunération supplémentaire d’entreprise, le Centre des services culturels soutient qu’elle était réservée aux travailleurs à durée indéterminée pour répondre à la nécessité d’assurer le maintien dans l’emploi d’un personnel hautement qualifié. À partir du mois de septembre 2019, cette rémunération supplémentaire aurait été accordée également aux requérants au principal dans le cadre de l’application d’une mesure incitative visant à pérenniser l’emploi, en vue de leur engagement prochain à durée indéterminée. L’application de cette mesure aurait entraîné le versement auxdits requérants d’une rémunération encore plus élevée que celle versée aux travailleurs à durée indéterminée.
15 La juridiction de renvoi s’interroge sur la comparabilité des situations en cause au principal ainsi que sur l’existence d’une éventuelle justification objective à la différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée quant à leur rémunération.
16 À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que les tâches effectuées par les requérants au principal en tant que travailleurs à durée déterminée étaient objectivement équivalentes à celles des techniciens de plateau engagés à durée indéterminée.
17 Cette juridiction relève, en outre, que, dans la mesure où ces requérants ont perçu les primes de flexibilité à partir du mois de septembre 2018 ainsi que la rémunération supplémentaire d’entreprise à partir du mois de septembre 2019, alors qu’ils étaient encore employés à durée déterminée, ils ont perçu, au cours de la même relation de travail et pour l’exercice des mêmes tâches, une rémunération qui était différente dans le temps et qui était également différente de celle perçue par le personnel engagé à durée indéterminée.
18 Par ailleurs, la juridiction de renvoi estime que, dans l’hypothèse où le fait de réserver les éléments de rémunération en cause au principal aux travailleurs à durée indéterminée serait considéré comme constituant une discrimination, il serait nécessaire de déterminer dans quelle mesure il convient de tenir compte de la circonstance que les travailleurs à durée déterminée percevaient déjà une rémunération horaire plus élevée que celle perçue par les travailleurs engagés à durée indéterminée. À cet égard, cette juridiction souligne que le Centre des services culturels a demandé, pour le cas où les éléments de rémunération réclamés par les requérants au principal leur seraient versés, la restitution de la compensation forfaitaire des heures supplémentaires payée à ceux-ci au titre de leurs contrats de travail à durée déterminée à la demande.
19 Dans ces conditions, le Tribunale ordinario di Trento (tribunal ordinaire de Trente) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le principe de non-discrimination au sens de la clause 4 de l’[accord-cadre] s’oppose-t-il à une réglementation nationale telle que celle prévue dans les accords syndicaux de 2014 […] et de 2018 […] qui prévoient le versement de la prime de flexibilité et de la rémunération supplémentaire d’entreprise uniquement [aux] travailleurs classés au niveau 3 de la [convention collective] qui sont engagés sur la base d’un contrat à durée indéterminée, mais [non pas à] ceux engagés pour une durée déterminée, et existe-t-il une raison objective susceptible de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée indéterminée et les travailleurs à durée déterminée ? »
Sur la question préjudicielle
20 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui réserve le versement de certains éléments de rémunération aux travailleurs à durée indéterminée, à l’exclusion des travailleurs à durée déterminée.
21 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
22 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire. En effet, la réponse à la question préjudicielle peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour.
23 À cet égard, il convient de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre énonce une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables, au seul motif qu’ils travaillent pour une durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives.
24 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que relèvent de la notion de « conditions d’emploi », visée à cette clause, notamment, les primes et les autres éléments de rémunération qui présentent un rapport avec l’emploi des travailleurs (arrêts du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C‑307/05, EU:C:2007:509, point 48, et du 20 juin 2019, Ustariz Aróstegui, C‑72/18, EU:C:2019:516, points 25 à 27).
25 En l’occurrence, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que les primes de flexibilité et la rémunération supplémentaire d’entreprise en cause au principal sont versées au personnel engagé par le Centre des services culturels en raison de la relation de travail qui les unit, si bien que ces primes et rémunération supplémentaire d’entreprise doivent être considérées comme relevant de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre.
26 D’autre part, il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi que les travailleurs à durée déterminée du Centre des services culturels, dont les requérants au principal, percevaient déjà, avant même que les primes de flexibilité et la rémunération supplémentaire d’entreprise en cause au principal ne leur soient accordées, une rémunération horaire plus élevée que celle perçue par les travailleurs à durée indéterminée du même secteur, y compris en tenant compte, dans la rémunération de ces derniers, de ces primes et de cette rémunération supplémentaire.
27 Dans ces conditions, quand bien même ces travailleurs à durée indéterminée devraient être regardés comme étant des « travailleurs à durée indéterminée comparables », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, les travailleurs à durée déterminée du Centre des services culturels ne sauraient être considérés comme étant traités, en ce qui concerne les conditions d’emploi, d’une manière « moins favorable », au sens de ladite clause.
28 Par ailleurs, la Cour a déjà jugé qu’il ressort de la lecture combinée de la clause 4, point 1, et de la clause 8, point 1, de l’accord-cadre que ces clauses habilitent les États membres qui le souhaitent à introduire des dispositions plus favorables aux travailleurs à durée déterminée (arrêt du 12 décembre 2013, Carratù, C‑361/12, EU:C:2013:830, EU:C:2013:830, point 47).
29 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui réserve le versement de certains éléments de rémunération aux travailleurs à durée indéterminée, à l’exclusion des travailleurs à durée déterminée, lorsque ces derniers travailleurs perçoivent une rémunération horaire plus élevée que celle perçue par les travailleurs à durée indéterminée, y compris en tenant compte, dans la rémunération des travailleurs à durée indéterminée, de ces éléments de rémunération.
Sur les dépens
30 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
La clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,
doit être interprétée en ce sens que :
elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui réserve le versement de certains éléments de rémunération aux travailleurs à durée indéterminée, à l’exclusion des travailleurs à durée déterminée, lorsque ces derniers travailleurs perçoivent une rémunération horaire plus élevée que celle perçue par les travailleurs à durée indéterminée, y compris en tenant compte, dans la rémunération des travailleurs à durée indéterminée, de ces éléments de rémunération.