Fiche Complète par Pierre Déjean
4/09/2025 Affaire C‑253/24
L’arrêt et les parties :
Demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte d’appello di L’Aquila (cour d’appel de L’Aquila, Italie), par décision du 4 avril 2024, parvenue à la Cour le 9 avril 2024, dans la procédure
Les parties sont : NZ requérant – contre – Ministero della Giustizia
Le droit applicable au litige :
Droit de l’Union :
- Accord Cadre relatif aux relations à durée déterminée, clauses 2, 4 et 5 :
- Directive 2003/88 article 7§1.
Droit italien :
- Article 29 du Décret législatif no 116, portant réforme organique de la magistrature honoraire et d’autres dispositions relatives aux juges de paix, ainsi que régime transitoire applicable aux magistrats honoraires en service, en exécution de la loi no 57, du 28 avril 2016), du 13 juillet 2017 (GURI no 177, du 31 juillet 2017, p. 1), tel que modifié par la Loi no 234, portant bilan prévisionnel de l’État pour l’année budgétaire 2022 et bilan pluriannuel 2022-2024), du 30 décembre 2021 (GURI no 310, du 31 décembre 2021, p. 1), § 1à3, 5 et 9.
Résumé des faits et de la procédure :
NZ est magistrate honoraire depuis le 14 février 2001. Elle a été prolongée et renouvelée dans cette fonction tous le 4 ans. Le 13 décembre 2022 elle a été confirmée définitivement dans ses fonctions (article 29 Loi précitée).
De 2001 à 2022, elle a perçu des indemnités par audiences tenues. Elle n’a pas perçu d’indemnités durant les vacances judiciaires. Restant avocate, elle a continué à verser une cotisation dont le montant dépendait de son activité d’avocate et de l’indemnité de magistrate honoraire.
Suite à son recours, la juridiction de première instance lui a reconnu la qualité de travailleur au sens du droit de l’union mais a considéré que cette qualification ne lui conférait pas le droit d’affiliation au régime de sécurité sociale des fonctionnaires. En conséquence, elle a condamné le ministère de la justice à lui verser des rémunérations dues et à l’indemniser pour le préjudice subi du fait de la réitération abusive de ses relations à durée déterminée.
Le ministère de la justice a contesté le caractère comparable des fonctions de magistrat honoraire et de magistrat ordinaire et le caractère abusif du recours au des CDD.
Confirmée à la suite d’une procédure d’évaluation, elle à dû renoncer à toute prétention découlant de ses fonctions antérieures (article 29 précité). NZ a demandé à la juridiction de renvoi de soulever la question de la légalité constitutionnelle de l’article 29.
Dans ce cadre la juridiction de renvoi pose des questions préjudicielles relative à la compatibilité de l’article 29 avec l’accord cadre sur les relations à durée déterminée.
Questions préjudicielles reformulées par la Cour :
491 La clause 5, point 1, de l’accord-cadre, lue en combinaison avec la clause 4 de cet accord, l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale subordonnant la procédure de confirmation à une renonciation au droit à la rémunération des congés payés découlant de l’activité antérieure ?
| La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non‑discrimination », énonce, à son point 1 : « Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. » Aux termes de la clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive » : « 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes : a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ; b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ; c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail. 2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée : a) sont considérés comme “successifs” ; b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. » La directive 2003/88 L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », dispose, à son paragraphe 1 : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. » |
Raisonnement de la Cour :
51-52 La clause 5.1 assigne un objectif général aux Etats membres. Il laisse le choix des moyens. Le droit de l’union ne prévoyant pas dans ce cas de sanctions spécifiques, les autorités nationales doivent adopter des mesures proportionnées mais suffisamment effectives et dissuasives pour garantir l’efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre.
55-57 La juridiction de renvoi appréciera si les conditions d’application et la mise en œuvre en font une mesure adéquate. Cependant, la Cour peut apporter des précisions pour guider la juridiction de renvoi.
Selon la clause 5.2, les Etats ont le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les contrat sont considérés à durée indéterminée.
C’est une faculté à laquelle ils peuvent recourir mais non une obligation.
58 Une règlementation prévoyant une transformation impérative en relation à durée indéterminée sans indemnité pécunière est susceptible de sanctionner un recours abusif a des relations à durée déterminée.
(voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 40)
59 Ni le principe de réparation intégrale du préjudice ni le principe de proportionnalité n’imposent le versement de dommages et intérêts. Ils imposent seulement une réparation adéquate et non purement symbolique. (arrêt précité). La jurisprudence n’exige pas de cumul de mesures.
65–73 Selon le gouvernement italien, le fait de renoncer à toute autre prétention est une contrepartie adéquate de la confirmation définitive dans les fonctions. Ce fait est une conséquence de « la réparation en nature »2 accordé aux magistrats confirmés.
Par ailleurs il convient d’éviter une discrimination à rebours qui défavoriserait les magistrats recrutés par concours.
Si le recrutement par concours permet d’exclure le bénéfice intégral des droits accordés aux magistrats ordinaires, l’exclusion de tout droit aux congés payés ne saurait être admise au regard de la clause 4.
En effet, l’article 7.1 de la Directive 2003/88 prévoyant un congé payé d’au moins 4 semaines concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés prévu par l’article 31§2 de la Charte.
Ce droit revêt, « quant à son existence même, un caractère tout à la fois impératif et inconditionnel, cette disposition ne demandant en effet pas à être concrétisée par des dispositions du droit de l’Union ou de droit national, lesquelles sont seulement appelées à préciser la durée exacte des congés annuels payés et, le cas échéant, certaines conditions d’exercice de ceux-ci. Il s’ensuit que ladite disposition se suffit à elle-même pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel, dans un litige qui les oppose à leur employeur dans une situation couverte par le droit de l’Union et relevant, par conséquent, du champ d’application de la Charte »3
(voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 74).
74–77 Ainsi, la clause 4 de l’Accord et l’article 31§2 de la Charte s’opposent à une règlementation nationale qui exclut pour les magistrats honoraires en situation comparable tout droit au versement d’une indemnité congés payés.
La règlementation nationale qui prévoit la transformation de la relation à durée déterminée en relation à durée indéterminée répond aux conditions de la clause 5.1 de l’Accord. Cependant, le droit au congé payé annuel est un « droit subjectif accordé de manière impérative et inconditionnelle par le droit de l’Union ».
En conséquence la clause 5.1 ne doit pas être interprété dans le sens que les mesures prises sont subordonnées à l’exigence d’une renonciation à un droit que lui confère le droit de l’union car les clause 5.1 et 4 ont des champs d’application différents : la première vise à sanctionner des abus ; la seconde à assurer un traitement équivalent aux travailleurs à durée déterminée.
78 La réglementation nationale sanctionnant un recours abusif en prévoyant la possibilité d’une transformation de la relation en indéterminée ne saurait être subordonnée à la renonciation aux droits conférés par le droit de l’Union.
Réponse de la Cour :
La clause 5.1 de l’Accord-cadre s’oppose à une règlementation nationale
« qui subordonne la demande, pour les magistrats honoraires en fonction, de participer à une procédure d’évaluation afin d’être confirmés dans l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, à l’exigence de renoncer au droit aux congés annuels payés découlant du droit de l’Union, relatif à leur relation de travail à titre honoraire antérieure. «