ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
4/09/2025 Affaire C‑253/24
« Renvoi préjudiciel – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Magistrats honoraires et magistrats ordinaires – Clause 5 – Mesures visant à prévenir et à sanctionner le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Droit au congé annuel payé – Article 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Procédure d’évaluation afin d’être confirmé définitivement dans les fonctions de magistrat honoraire – Renonciation ex lege aux prétentions découlant des fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement à la procédure d’évaluation – Perte d’un droit au congé annuel payé conféré par le droit de l’Union »
Dans l’affaire C‑253/24 [Pelavi] (i), ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte d’appello di L’Aquila (cour d’appel de L’Aquila, Italie), par décision du 4 avril 2024, parvenue à la Cour le 9 avril 2024, dans la procédure
Ministero della Giustizia – contre – NZ,
en présence de : Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS),
LA COUR (quatrième chambre), composée de M. I. Jarukaitis, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. N. Jääskinen, A. Arabadjiev (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges, avocat général : Mme J. Kokott, greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite, considérant les observations présentées :
– pour NZ, par Me P. Perna, avvocata,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme L. Fiandaca et M. G. Santini, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mmes S. Delaude et D. Recchia, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions, rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), des clauses 4 et 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord‑cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), ainsi que des articles 31 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Ministero della Giustizia (ministère de la Justice, Italie), l’employeur, à NZ, une magistrate honoraire, au sujet des conséquences découlant de la participation de NZ à une procédure d’évaluation afin d’être confirmée définitivement dans ses fonctions.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord-cadre
3 La clause 2 de l’accord-cadre, intitulée « Champ d’application », prévoit, à son point 1 :
« Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre. »
4 La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée « Principe de non‑discrimination », énonce, à son point 1 :
« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. »
5 Aux termes de la clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive » :
« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :
a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;
b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;
c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.
2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :
a) sont considérés comme “successifs” ;
b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »
La directive 2003/88
6 L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »
Le droit italien
7 L’article 29 du decreto legislativo n. 116 – Riforma organica della magistratura onoraria e altre disposizioni sui giudici di pace, nonché disciplina transitoria relativa ai magistrati onorari in servizio, a norma della legge 28 aprile 2016, n. 57 (décret législatif no 116, portant réforme organique de la magistrature honoraire et d’autres dispositions relatives aux juges de paix, ainsi que régime transitoire applicable aux magistrats honoraires en service, en exécution de la loi no 57, du 28 avril 2016), du 13 juillet 2017 (GURI no 177, du 31 juillet 2017, p. 1), tel que modifié par la legge n. 234 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2022 e bilancio pluriennale per il triennio 2022-2024 (loi no 234, portant bilan prévisionnel de l’État pour l’année budgétaire 2022 et bilan pluriannuel 2022-2024), du 30 décembre 2021 (GURI no 310, du 31 décembre 2021, p. 1) (ci-après le « décret législatif no 116/2017 »), dispose, à ses paragraphes 1 à 3, 5 et 9 :
« 1. Les magistrats honoraires en fonction à la date de l’entrée en vigueur du présent décret peuvent être confirmés sur demande jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 70 ans.
2. Les magistrats honoraires en fonction à la date de l’entrée en vigueur du présent décret qui n’obtiennent pas leur confirmation, tant parce qu’ils n’ont pas présenté la demande que parce qu’ils n’ont pas passé avec succès la procédure d’évaluation prévue au paragraphe 3, ont droit, sans préjudice de la faculté de refuser, à une indemnité égale, respectivement, à 2 500 euros bruts de déductions fiscales, pour chaque année de service au cours de laquelle le magistrat a participé à des audiences pendant au moins 80 jours, et à 1 500 euros bruts de déductions fiscales, pour chaque année de service au cours de laquelle le magistrat a participé à des audiences pendant moins de 80 jours, et en tout état de cause dans la limite globale par personne de 50 000 euros, bruts de déductions fiscales. Pour le calcul de l’indemnité prévue à la phrase précédente, les périodes de service supérieures à six mois sont assimilées à une année. Le fait de recevoir l’indemnité entraîne la renonciation à toute autre prétention de quelque nature que ce soit découlant de la cessation des fonctions de magistrat honoraire.
3. Aux fins de la confirmation visée au paragraphe 1, le Conseil supérieur de la magistrature procède par décision à l’organisation de trois procédures d’évaluation distinctes qui se tiendront annuellement au cours de la période triennale 2022‑2024. Elles concernent les magistrats honoraires en fonction qui, respectivement, à la date de l’entrée en vigueur du présent décret, ont accompli :
a) plus de 16 ans de service ; – b) entre 12 et 16 ans de service ; – c) moins de 12 ans de service.
[…]
5. La demande de participation aux procédures d’évaluation visées au paragraphe 3 implique la renonciation à toute autre prétention, de quelque nature que ce soit, découlant des fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement, sans préjudice du droit à l’indemnité visée au paragraphe 2 en cas de non-confirmation.
[…]
9. Les magistrats honoraires en fonction à la date d’entrée en vigueur du présent décret cessent d’être en fonction s’ils ne présentent pas de demande de participation à la procédure d’évaluation visée au paragraphe 3. »
8 Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 NZ exerce, depuis le 14 février 2001, la fonction de magistrat honoraire au Tribunale di Vasto (tribunal de Vasto, Italie). Initialement nommée pour une durée de trois ans, elle a été prolongée et renouvelée dans cette fonction tous les quatre ans, jusqu’au 13 décembre 2022. À cette dernière date, elle a été définitivement confirmée dans ses fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, en application de l’article 29 du décret législatif no 116/2017, qui introduit la possibilité, pour les magistrats honoraires en fonction à la date du 1er janvier 2022, de demander à participer à une procédure d’évaluation aux fins d’une confirmation définitive dans leurs fonctions.
10 Entre le 14 février 2001 et le 13 décembre 2022, NZ a perçu des indemnités calculées, notamment, en fonction du nombre d’audiences tenues.
11 NZ n’a pas siégé durant les périodes de vacances judiciaires fixées par la réglementation nationale, comprises entre le 1er et le 31 août de chaque année. Pendant ces périodes, elle n’a donc pas perçu d’indemnités.
12 Étant également inscrite à l’ordre des avocats, NZ a pu continuer à exercer, en parallèle, et ce jusqu’au 13 décembre 2022, la profession d’avocat en dehors du ressort territorial du tribunal auquel elle était affectée.
13 En tant qu’avocate, elle relevait du régime obligatoire de sécurité sociale géré par la Cassa Nazionale Forense (caisse nationale de sécurité sociale des avocats, Italie). À ce titre, elle était tenue de verser une cotisation dont le montant dépendait des revenus de son activité d’avocat ainsi que de l’indemnité découlant de sa fonction de magistrat honoraire.
14 S’estimant victime d’une différence de traitement illégale concernant la rétribution de ses fonctions avant l’entrée en vigueur de l’article 29 du décret législatif no 116/2017 et la confirmation définitive en sa fonction de magistrat honoraire, NZ a introduit, devant la juridiction de première instance, un recours visant à se voir reconnaître, en ce qui concerne ses fonctions de magistrat honoraire, la qualité de « travailleur salarié », au sens du droit italien, ou celle de « travailleur », au sens du droit de l’Union, et, partant, le droit à bénéficier d’un traitement économique et juridique équivalent à celui des travailleurs exerçant des fonctions comparables au service du ministère de la Justice, y compris en ce qu’il porte sur les jours fériés, les congés annuels, les congés de maternité et de maladie, les indemnités de maladie et d’accident, le traitement de fin de contrat, la protection sociale et l’assurance. Elle a également demandé réparation du préjudice subi en raison du non-respect allégué des obligations prévues par le droit de l’Union en matière de congés, de congé de maternité et de toute autre protection. En outre, NZ a demandé à ce que cette juridiction constate que ce ministère avait, de manière abusive, réitéré à son égard la conclusion de contrats de travail à durée déterminée et à ce que ledit ministère soit condamné à réparer le préjudice qui en avait résulté pour NZ.
15 Par arrêt du 14 mars 2022, la juridiction de première instance a partiellement fait droit à ce recours. Elle a jugé que, dans l’exercice de ses fonctions de magistrat honoraire, NZ devait être qualifiée de « travailleur », au sens du droit de l’Union, et avait le droit de percevoir la même rémunération que celle qui est versée à un magistrat ordinaire. Toutefois, cette juridiction a considéré que cette qualification n’était pas de nature à lui conférer le droit d’être affiliée, auprès de l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) (Institut national de sécurité sociale, Italie), au régime de sécurité sociale des fonctionnaires, en l’absence d’une relation d’emploi public. En conséquence, ladite juridiction a condamné le ministère de la Justice à verser à NZ les rémunérations dues pour la période antérieure à son recours, dans les limites de la prescription de cinq ans. En outre, la même juridiction a estimé que la relation de travail à durée déterminée de NZ avait été réitérée de manière abusive et a condamné ce ministère à réparer le préjudice subi par NZ à hauteur de neuf mensualités de la rémunération qui est versée à un magistrat ordinaire.
16 Le ministère de la Justice a interjeté appel de cette décision devant la Corte d’appello di L’Aquila (cour d’appel de L’Aquila, Italie), qui est la juridiction de renvoi, contestant tant le caractère comparable des fonctions de magistrat honoraire et de magistrat ordinaire que le caractère abusif du recours aux contrats à durée déterminée.
17 NZ a formé un appel incident, contestant la qualification de ses prétentions en tant que demande de rémunération, et non d’indemnisation, qui avait été retenue par la juridiction de première instance ainsi que l’application du délai de prescription de cinq ans, et non de dix ans, qui avait découlé de cette qualification. Elle conteste également le fait que sa qualification en tant que « travailleur », au sens du droit de l’Union, ne lui ait pas ouvert le droit d’être affiliée à l’INPS.
18 Alors que la procédure d’appel était pendante, NZ a mené à bien la procédure qui prévoyait la possibilité, pour les magistrats honoraires en fonction à la date du 1er janvier 2022, de demander à participer à une procédure d’évaluation visée à l’article 29, paragraphe 3, du décret législatif no 116/2017.
19 En tant que magistrate honoraire ainsi confirmée, NZ bénéficie, depuis le 13 décembre 2022, d’une rémunération fixe, calculée sur la base du salaire d’un fonctionnaire employé par le ministère de la Justice, d’une indemnité judiciaire et de chèques-repas. Cette rémunération est versée également pendant la période de vacances judiciaires, pendant laquelle elle n’exerce pas d’activités. En outre, ayant opté pour le régime d’exclusivité des fonctions honoraires, NZ a été radiée du tableau de l’ordre des avocats et de la caisse nationale de sécurité sociale des avocats et a été affiliée à l’INPS.
20 Compte tenu de la participation de NZ à la procédure d’évaluation visée à l’article 29, paragraphe 3, du décret législatif no 116/2017 et du fait que cet article 29, paragraphe 5, prévoit qu’une telle participation implique, pour les magistrats honoraires confirmés dans leurs fonctions à l’issue de cette procédure, la renonciation ex lege à toute autre prétention découlant de leur relation de travail à titre honoraire antérieure, le ministère de la Justice considère que le litige au principal est devenu sans objet.
21 NZ s’oppose à cette demande de non-lieu à statuer et demande à la juridiction de renvoi de soulever une question de légalité constitutionnelle de l’article 29 du décret législatif no 116/2017, en particulier de cette renonciation ex lege prévue au paragraphe 5 de cet article.
22 La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de l’article 29, paragraphe 5, du décret législatif nº 116/2017 avec la clause 4 de l’accord-cadre, l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que les articles 31 et 47 de la Charte, notamment en ce que ladite renonciation ex lege affecte le droit à la rémunération des congés équivalent à celui dont bénéficient les magistrats ordinaires. Elle estime opportun de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle à cet égard, compte tenu de l’effet direct de ces dispositions et du pouvoir subséquent dont elle dispose d’écarter l’application d’une réglementation nationale contraire à une norme pourvue d’un tel effet.
23 En outre, cette juridiction se demande si l’article 29, paragraphe 5, du décret législatif nº 116/2017 répond aux exigences découlant de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre. Elle considère qu’il est opportun d’interroger la Cour également à cet égard, dans la mesure où une réponse de la part de celle-ci à cette seconde question rendrait plus aisée l’évaluation relative à la nécessité de soumettre à la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) la question de la constitutionnalité de la disposition nationale en cause.
24 Dans ces conditions, la Corte d’appello di L’Aquila (cour d’appel de L’Aquila) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 31, paragraphe 1, et l’article 47 de la [Charte], l’article 7 de la [directive 2003/88] ainsi que la clause 4 de [l’accord-cadre] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui prévoit qu’un magistrat honoraire, qui a la qualité de “travailleur” et de “travailleur à durée déterminée” et qui est confirmé dans ses fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, perd le droit aux congés payés pour la période antérieure à la confirmation ?
2) La clause 5, point 1, de [l’accord-cadre] s’oppose-t-elle à une réglementation nationale qui prévoit, à titre de mesure visant à sanctionner le recours abusif à des relations à durée déterminée, la confirmation du magistrat honoraire dans ses fonctions jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 70 ans, sous réserve de passer avec succès une procédure d’évaluation n’ayant pas la nature d’un concours, ainsi qu’une indemnité pécuniaire en cas d’échec à la procédure d’évaluation, avec renonciation, dans les deux cas, à tout droit relatif à la période antérieure ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
25 Le gouvernement italien conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.
26 Il fait valoir, en premier lieu, que la Cour a déjà été saisie par le Giudice di pace di Fondi (juge de paix de Fondi, Italie) d’une demande de décision préjudicielle, enregistrée sous le numéro C‑548/22, soulevant des questions identiques et relatives aux mêmes dispositions nationales que celles en cause dans l’affaire au principal. Ce gouvernement considère, pour des motifs relevant, en substance, de l’économie de procédure, que le présent renvoi préjudiciel est dénué d’utilité et que l’affaire au principal aurait dû être suspendue dans l’attente de la réponse de la Cour dans le cadre de l’affaire C‑548/22.
27 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi n’établirait aucun lien entre les principes du droit de l’Union auxquels elle se réfère et la législation nationale applicable au litige au principal.
28 Enfin, en troisième lieu, la seconde question serait hypothétique, car elle concernerait une situation autre que celle de la requérante au principal, dans la mesure où cette dernière a passé avec succès les épreuves orales de la procédure d’évaluation et n’a donc pas bénéficié de l’indemnité pécuniaire en cas d’échec à cette procédure, mentionnée à cette question.
29 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 17 septembre 2020, Burgo Group, C‑92/19, EU:C:2020:733, point 39 et jurisprudence citée).
30 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 17 septembre 2020, Burgo Group, C‑92/19, EU:C:2020:733, point 40 et jurisprudence citée).
31 À cet égard, afin de permettre à la Cour de fournir une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national, l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour exige que la demande de décision préjudicielle contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 27 avril 2023, AxFina Hungary, C‑705/21, EU:C:2023:352, point 26).
32 En premier lieu, il convient de relever que, si les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 septembre 2024, Presidenza del Consiglio dei ministri e.a. (Rétribution des magistrats honoraires) (C‑548/22, EU:C:2024:730), par lequel la Cour a, par ailleurs, déclaré la demande de décision préjudicielle irrecevable, sont comparables à celles de l’affaire au principal et que ces deux affaires soulèvent des questions semblables, il n’en demeure pas moins que, au vu, en particulier, de la jurisprudence constante citée aux points 29 et 30 du présent arrêt, sous réserve du respect des exigences qui en découlent, le juge national reste libre d’introduire un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union pertinentes pour la résolution du litige dont il est saisi. En effet, l’existence d’une jurisprudence établie sur un point de droit de l’Union, si elle peut amener la Cour à adopter une ordonnance au titre de l’article 99 de son règlement de procédure, ne saurait en rien affecter la recevabilité d’un renvoi préjudiciel dans le cas où une juridiction nationale décide, dans le cadre de ce pouvoir d’appréciation, de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE (arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a., C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, point 49).
33 En deuxième lieu, en faisant état, de manière motivée, de ses doutes, d’une part, sur la question de savoir si, au regard de la clause 4 de l’accord-cadre, de l’article 7 de la directive 2003/88 et de l’article 31 de la Charte, la requérante au principal est susceptible de se voir privée du droit aux congés payés dont bénéficie tout travailleur et, d’autre part, sur la compatibilité de la procédure d’évaluation en cause au principal avec la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, la juridiction de renvoi expose de manière suffisante le lien qu’elle établit entre les dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation et la réglementation nationale applicable au litige au principal.
34 Cependant, s’agissant de l’article 47 de la Charte, il convient de relever que la juridiction de renvoi n’a pas expliqué de manière suffisamment concrète en quoi une interprétation de cette disposition lui serait nécessaire pour statuer sur le litige pendant devant elle ni décrit le lien qui existerait entre celle-ci et la législation nationale applicable à ce litige, compte tenu, en particulier, du fait que, d’une part, ledit litige concerne l’exercice du droit de la requérante au principal à l’indemnisation au titre de congés payés annuels ainsi que la légalité du mécanisme visant la prévention et la sanction du recours abusif à des relations de travail à durée déterminée successives et que, d’autre part, la requérante au principal a saisi les juridictions nationales compétentes afin d’obtenir la protection de ces droits.
35 S’agissant, en troisième lieu, du caractère prétendument hypothétique de la seconde question, ainsi qu’il ressort sans équivoque de la décision de renvoi, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité au regard du droit de l’Union de la mesure imposant aux magistrats honoraires demandant à participer aux procédures d’évaluation de renoncer à tout droit au titre de la période antérieure à cette procédure et, en particulier, au droit aux congés annuels payés. La requérante au principal ayant été contrainte, par la législation nationale concernée, de renoncer à ce droit, dès lors qu’elle a demandé à participer à cette procédure, le rapport entre l’interprétation sollicitée du droit de l’Union et l’objet du litige au principal apparaît de manière manifeste et cette seconde question ne présente pas de caractère hypothétique en ce qui concerne la perte dudit droit.
36 Cependant, il est constant que la requérante au principal a mené à bien la procédure d’évaluation et a été définitivement confirmée dans ses fonctions de magistrate honoraire. Dès lors, les interrogations de la juridiction de renvoi relatives aux modalités d’organisation de cette procédure et à la législation nationale prévoyant une indemnité pécuniaire en cas d’échec à ladite procédure ne sont pas en cause au principal. Partant, la seconde question est hypothétique en ce qu’elle concerne ces deux interrogations.
37 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable, à l’exception de la seconde question en tant qu’elle concerne les modalités d’organisation de la procédure d’évaluation des magistrats honoraires en vue de leur confirmation définitive dans leurs fonctions et l’indemnité pécuniaire en cas d’échec à cette procédure.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
38 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 30 avril 2025, Genzyński, C‑278/24, EU:C:2025:299, point 41 et jurisprudence citée).
39 En l’occurrence, il apparaît qu’un lien étroit existe entre les deux questions posées par la juridiction de renvoi. En effet, celles-ci ont trait aux droits que les magistrats honoraires qui ont été confirmés dans leurs fonctions à l’issue de la procédure d’évaluation ne peuvent, de ce fait, plus faire valoir. Ainsi, la première question porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre, de l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que de l’article 31 de la Charte et concerne, en particulier, la perte du droit aux congés payés pour la période antérieure à cette confirmation, alors que la seconde question porte sur l’interprétation de la clause 5 de l’accord-cadre et vise, plus largement, la renonciation à tout droit relatif à cette période antérieure.
40 S’agissant, en premier lieu, des dispositions invoquées dans les questions posées, la juridiction de renvoi relève que la procédure d’évaluation constitue une mesure adoptée pour répondre aux sollicitations de la Commission européenne et à l’arrêt du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens) (C‑658/18, EU:C:2020:572). Dans cette perspective, cette procédure est supposée mettre en œuvre l’obligation, découlant de la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, d’adopter des mesures effectives pour prévenir et sanctionner l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs.
41 Cette juridiction se demande, en effet, si la procédure d’évaluation est suffisamment dissuasive pour pouvoir être qualifiée de mesure sanctionnant le recours abusif à de tels contrats, au sens de cette clause 5, point 1, et, par conséquent, si elle respecte les exigences de cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour.
42 Ladite juridiction relève, à cet égard, que la réglementation en cause au principal a permis à NZ d’obtenir la pérennisation de sa fonction ainsi que des garanties pour la période postérieure à cette pérennisation, à l’instar des réformes examinées dans le cadre des arrêts du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401), et du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti (C‑494/17, EU:C:2019:387). Toutefois, à la différence de ces réformes, cette réglementation prévoit que la demande de participation aux procédures d’évaluation implique, pour les magistrats honoraires, de renoncer à toute autre prétention découlant de la relation de travail à titre honoraire antérieure et, partant, de renoncer à faire valoir le principe de non-discrimination prévu à la clause 4 de l’accord-cadre au soutien de leurs prétentions.
43 La juridiction de renvoi s’interroge donc, en substance, sur la compatibilité de ladite réglementation avec la disposition qu’elle entend mettre en œuvre, à savoir la clause 5 de l’accord-cadre, visant à prévenir et sanctionner le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs, lue en combinaison avec la clause 4 de cet accord, ainsi qu’avec l’article 7 de la directive 2003/88, qui concrétise le droit aux congés annuels payés, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, dont un travailleur peut se prévaloir à l’égard de son employeur (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2023, Keolis Agen, C‑271/22 à C‑275/22, EU:C:2023:834, point 28). Il apparaît dès lors opportun de procéder à un examen conjoint des questions préjudicielles.
44 À cet égard, il y a lieu de relever, en outre, que, même si la juridiction de renvoi mentionne, dans le libellé de la première question posée, l’article 31, paragraphe 1, de la Charte, qui consacre le droit de tout travailleur à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité, il ressort de la décision de renvoi, ainsi que du contexte de cette question, que celle-ci vise, en réalité, le paragraphe 2 de cet article 31.
45 En second lieu, il convient de constater que, s’il ressort du libellé des questions posées que les interrogations de la juridiction de renvoi concernent l’article 29, paragraphe 5, du décret législatif no 116/2017, lequel impose aux magistrats honoraires, lors de leur demande de participation à la procédure d’évaluation en cause, de renoncer à tout droit découlant de la relation honoraire antérieure, cette juridiction vise cependant de manière spécifique, dans les motifs de la décision de renvoi, la renonciation au droit aux congés annuels payés, droit dont ne bénéficient pas les magistrats honoraires au cours des périodes de vacances judiciaires, à la différence des magistrats ordinaires.
46 En effet, s’agissant de ce droit, la juridiction de renvoi estime que la requérante au principal se trouve dans une situation comparable à celle d’un magistrat ordinaire. Cette juridiction relève, à cet égard, que, avant l’entrée en vigueur de la réglementation en cause au principal, cette requérante aurait dû, en tant que « travailleuse » et « travailleuse à durée déterminée », voir sa demande de rémunération pour la période des vacances judiciaires accueillie, sans préjudice de l’application des règles de prescription pertinentes.
47 S’agissant, en revanche, du droit à la protection sociale, la juridiction de renvoi considère que la situation des magistrats honoraires et celle des magistrats ordinaires n’est pas comparable et, en tout état de cause, qu’une éventuelle différence de traitement serait justifiée.
48 Sous le bénéfice de ces considérations liminaires, il convient donc d’examiner uniquement l’un des aspects de la réglementation en cause au principal, mis en exergue par la juridiction de renvoi dans sa décision, à savoir l’exigence de renoncer au droit aux congés annuels payés pour la période antérieure à la procédure d’évaluation.
49 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, lue en combinaison avec la clause 4 de cet accord, l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, visant à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, qui subordonne la demande, pour les magistrats honoraires en fonction, de participer à une procédure d’évaluation afin d’être confirmés dans l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, à l’exigence de renoncer au droit à la rémunération des congés annuels découlant du droit de l’Union, relatif à leur relation de travail à titre honoraire antérieure.
Sur le fond
50 La clause 5, point 1, de l’accord-cadre impose aux États membres, en vue de prévenir l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, l’adoption de l’une au moins des mesures qu’elle énumère, lorsque leur droit interne ne comporte pas de mesures légales équivalentes (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
51 Ce faisant, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre assigne aux États membres un objectif général, consistant en la prévention de tels abus, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir, pour autant qu’ils ne remettent pas en cause l’objectif ou l’effet utile de l’accord‑cadre (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 26 ainsi que jurisprudence citée).
52 En outre, lorsque, comme en l’occurrence, le droit de l’Union ne prévoit pas de sanctions spécifiques dans l’hypothèse où des abus auraient néanmoins été constatés, il incombe aux autorités nationales d’adopter des mesures qui doivent revêtir un caractère non seulement proportionné, mais également suffisamment effectif et dissuasif pour garantir la pleine efficacité des normes prises en application de l’accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2024, DG de la Función Pública, Generalitat de Catalunya et Departamento de Justicia de la Generalitat de Catalunya, C‑331/22 et C‑332/22, EU:C:2024:496, point 67 ainsi que jurisprudence citée).
53 Il s’ensuit que, lorsqu’un recours abusif à des contrats ou à des relations de travail à durée déterminée successifs a eu lieu, une mesure présentant des garanties effectives et équivalentes de protection des travailleurs doit pouvoir être appliquée pour sanctionner dûment cet abus et effacer les conséquences de la violation du droit de l’Union (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
54 Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi ou, le cas échéant, aux juridictions nationales compétentes, lesquelles doivent déterminer si les exigences rappelées aux points 50 à 53 du présent arrêt sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale applicable (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a., C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, point 81).
55 Il incombe donc à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les conditions d’application ainsi que la mise en œuvre effective des dispositions pertinentes du droit interne en font une mesure adéquate pour sanctionner l’utilisation abusive de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs et en effacer les conséquences. Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a., C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, points 82 et 83 ainsi que jurisprudence citée).
56 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l’a souligné, l’accord-cadre n’édicte pas une obligation générale des États membres de prévoir la transformation en contrat à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée. En effet, la clause 5, point 2, de l’accord-cadre laisse en principe aux États membres le soin de déterminer sous quelles conditions les contrats ou les relations de travail à durée déterminée sont considérés comme étant conclus pour une durée indéterminée. Il en ressort que l’accord-cadre ne prescrit pas les conditions auxquelles il peut être fait usage des contrats à durée indéterminée (arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a., C‑22/13, C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401, point 80 ainsi que jurisprudence citée).
57 Il résulte de cette disposition que les États membres disposent de la faculté, au titre des mesures de nature à prévenir ou à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, de transformer les relations de travail à durée déterminée en relations de travail à durée indéterminée, la stabilité de l’emploi que procure ces dernières constituant l’élément majeur de la protection des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 39).
58 C’est ainsi que la Cour a, en substance, considéré qu’une réglementation prévoyant de manière impérative que, en cas de recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée, ces derniers sont transformés en relation de travail à durée indéterminée, à l’exclusion de toute indemnité pécuniaire, est susceptible de comporter une mesure sanctionnant effectivement un tel recours abusif (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
59 Partant, la jurisprudence n’exige pas un cumul de mesures. De surcroît, ni le principe de la réparation intégrale du préjudice subi ni le principe de la proportionnalité n’imposent le versement de dommages et intérêts punitifs. En effet, ces principes imposent aux États membres de prévoir une réparation adéquate, dépassant une indemnisation purement symbolique, sans pour autant aller au-delà d’une compensation intégrale (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, points 41 à 43 ainsi que jurisprudence citée).
60 L’accord-cadre n’impose donc pas aux États membres de prévoir, en cas de recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée, un droit à réparation qui viendrait s’ajouter à la transformation de la relation de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée (arrêt du 8 mai 2019, Rossato et Conservatorio di Musica F.A. Bonporti, C‑494/17, EU:C:2019:387, point 45).
61 En l’occurrence, le gouvernement italien souligne que l’objectif de la réglementation en cause au principal est d’accorder aux magistrats honoraires en service toutes les garanties dont bénéficie un travailleur salarié, en prévoyant la possibilité d’un maintien en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans, sous réserve de passer avec succès la procédure d’évaluation, visant à vérifier que les conditions requises pour l’exercice des fonctions juridictionnelles sont toujours remplies, conformément à la jurisprudence de la Corte costituzionale (Cour constitutionelle).
62 Il ressort de la décision de renvoi que, premièrement, la requérante au principal a passé avec succès la procédure d’évaluation en vue de sa confirmation définitive dans les fonctions de magistrate honoraire prévue par ladite réglementation.
63 Deuxièmement, avant sa confirmation définitive, la requérante au principal n’a pas tenu d’audience durant les périodes de vacances judiciaires annuelles du tribunal dans lequel elle exerce la fonction de magistrat honoraire et n’a pas perçu de rémunération au titre de ces périodes.
64 Troisièmement, la demande de participation à la procédure d’évaluation implique de renoncer au droit aux congés annuels payés pour la période antérieure à cette confirmation définitive garanti par l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.
65 Selon le gouvernement italien, le fait de renoncer « à toute autre prétention », et donc au droit aux congés annuels payés portant sur une période antérieure, constitue une contrepartie adéquate de la confirmation définitive dans les fonctions de magistrat honoraire, étant donné que la réussite à la procédure d’évaluation ne fait pas naître une simple chance de voir pérenniser la relation d’emploi antérieure, mais entraîne la pérennisation effective de cette relation d’emploi. Le fait de renoncer à des prétentions antérieures serait ainsi la conséquence directe de la « réparation en nature » accordée aux magistrats honoraires qui ont été confirmés.
66 Ce gouvernement fait également valoir qu’il convient d’éviter une discrimination à rebours à l’égard des magistrats ordinaires auxquels les principes du concours et de l’exclusivité de la fonction judiciaire s’appliquent pleinement.
67 Il convient, à cet égard, de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord‑cadre énonce une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables, au seul motif qu’ils exercent une activité en vertu d’un contrat à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives (arrêt du 27 juin 2024, Peigli, C‑41/23, EU:C:2024:554, point 38 et jurisprudence citée).
68 S’il est établi que des magistrats honoraires, tels que la requérante au principal, se trouvent dans une situation comparable à celle des magistrats ordinaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, il convient de vérifier s’il existe des raisons objectives justifiant une telle différence de traitement (arrêt du 27 juin 2024, Peigli, C‑41/23, EU:C:2024:554, point 50).
69 À cet égard, il y a lieu de relever que, selon cette juridiction, il n’est pas justifié de n’octroyer aucun jour de congé payé aux magistrats honoraires.
70 En outre, la Cour a déjà jugé que l’existence d’une modalité de recrutement par concours réservée aux seuls postes de magistrats ordinaires aux fins de l’accès à la magistrature, qui ne s’applique donc pas au recrutement des magistrats honoraires, permet d’exclure que ces derniers bénéficient intégralement des droits accordés aux magistrats ordinaires. Toutefois, si certaines différences de traitement peuvent être justifiées par les différences de qualifications requises et par la nature des tâches dont les magistrats ordinaires doivent assumer la responsabilité, l’exclusion de tout droit aux congés payés à l’égard des magistrats honoraires ne saurait être admise au regard de la clause 4 de l’accord-cadre (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Peigli, C‑41/23, EU:C:2024:554, points 53 et 54 ainsi que jurisprudence citée).
71 En effet, ce droit figure à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, en vertu duquel « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines ».
72 Il est de jurisprudence constante que cette disposition reflète et concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 9 novembre 2023, Keolis Agen, C‑271/22 à C‑275/22, EU:C:2023:834, point 18 et jurisprudence citée).
73 En outre, le droit à une période de congés annuels payés, consacré dans le chef de tout travailleur par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, revêt, quant à son existence même, un caractère tout à la fois impératif et inconditionnel, cette disposition ne demandant en effet pas à être concrétisée par des dispositions du droit de l’Union ou de droit national, lesquelles sont seulement appelées à préciser la durée exacte des congés annuels payés et, le cas échéant, certaines conditions d’exercice de ceux-ci. Il s’ensuit que ladite disposition se suffit à elle-même pour conférer aux travailleurs un droit invocable en tant que tel, dans un litige qui les oppose à leur
employeur dans une situation couverte par le droit de l’Union et relevant, par conséquent, du champ d’application de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 74).
74 Ainsi, la clause 4 de l’accord-cadre, l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte s’opposent à une réglementation nationale qui, à la différence de ce qu’elle prévoit pour les magistrats ordinaires, exclut, pour les magistrats honoraires se trouvant dans une situation comparable, tout droit au versement d’une indemnité pendant la période des congés durant laquelle les activités judiciaires ont été suspendues (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Peigli, C‑41/23, EU:C:2024:554, point 59).
75 Il s’ensuit que, d’une part, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée aux points 53 et 57 du présent arrêt, pour répondre aux conditions posées par la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, une réglementation nationale doit prévoir, en cas de recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, des garanties effectives pour sanctionner cet abus et pour en effacer les conséquences, la transformation de la relation de travail à durée déterminée en relation de travail à durée indéterminée constituant, en principe, une sanction effective d’un tel abus.
76 D’autre part, ainsi qu’il ressort du point 73 du présent arrêt, le droit à une période de congés annuels payés constitue un droit subjectif de chaque travailleur, qui lui est accordé de manière impérative et inconditionnelle par le droit de l’Union.
77 Partant, la clause 5, point 1, de l’accord-cadre ne saurait être interprétée en ce sens que l’application des mesures prises par un État membre pour sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs et pour en effacer les conséquences pourrait être subordonnée à une exigence, pour le travailleur concerné, de renoncer à un droit que lui confère le droit de l’Union en application de la clause 4 de cet accord. En effet, la clause 5, point 1, et la clause 4 de l’accord-cadre ont des champs d’application autonomes, visant, respectivement, à sanctionner un tel abus et à assurer le traitement équivalent des travailleurs lorsqu’ils travaillent sur la base d’une relation de travail à durée déterminée.
78 Ainsi, la réglementation nationale qui sanctionne le recours abusif aux relations de travail à durée déterminée successives en prévoyant la possibilité pour un magistrat honoraire de voir ses relations transformées en relation de travail à durée indéterminée ne saurait être subordonnée à une exigence, pour ce magistrat, de renoncer aux droits qui lui sont conférés par le droit de l’Union.
79 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la clause 5, point 1, de l’accord-cadre, lue en combinaison avec la clause 4 de cet accord, l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi que l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, visant à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, qui subordonne la demande, pour les magistrats honoraires en fonction, de participer à une procédure d’évaluation afin d’être confirmés dans l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, à l’exigence de renoncer au droit aux congés annuels payés découlant du droit de l’Union, relatif à leur relation de travail à titre honoraire antérieure.
Sur les dépens
80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
La clause 5, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, lue en combinaison avec la clause 4 de cet accord, l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, ainsi que l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprétée en ce sens que :
elle s’oppose à une réglementation nationale, visant à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée successifs, qui subordonne la demande, pour les magistrats honoraires en fonction, de participer à une procédure d’évaluation afin d’être confirmés dans l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans, à l’exigence de renoncer au droit aux congés annuels payés découlant du droit de l’Union, relatif à leur relation de travail à titre honoraire antérieure.