Par Laurent Vivès
La Cour de Justice Européenne a déjà une longue histoire et a considérablement évoluée en 74 ans, (avec l’ensemble des institutions Européennes), au fil des traités et directives successives. Son historique nous est apparue complexe, ne se limitant pas à des dates et du factuel. Ce serait oublier des éléments plus subtils et moins visibles tels que sa place dans les institutions, son image, son rôle, ses efforts d’adaptation, l’importance majeure qu’elle prend actuellement pour le fonctionnement de l’Europe, le respect et l’évolution du droit et surtout pour la défense des valeurs et de la démocratie.
En 1951 nait la communauté européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.), sous l’égide de Robert Schumann et de Jean Monnet, avec l’accord de Konrad Adenauer et de Georges Bidault.


1 – Approche factuelle et chronologique :
Au début, la C. E. C. A. est constituée des pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), de l’Italie, de l’Allemagne de l’Ouest et de la France. Les 6 pays sont unis par un traité de coopération qui entrera en vigueur le 23 juillet 1952.
Pour fonctionner la C.E.C. A. se dote d’une Haute autorité (organe exécutif) et de son comité consultatif – Son premier président est Jean Monnet.
L’Assemblée comprend 78 députés, qui contrôlent la Haute Autorité et garantissent le fonctionnement démocratique de la communauté.
Le Conseil des ministres est composé des ministres des gouvernements nationaux. C’est l’organe de liaison entre la Haute autorité et les gouvernements.
La Cour de justice de la C.E.C.A. fut créée en 1951 (traité de Paris), avec au début des prérogatives mineures (plutôt un rôle d’arbitrage et de vérifications, d’après certains commentaires…). En 1952, elle fut remplacée par La Cour de Justice des Communautés Européennes (C.J.C.E.) qui siège à Luxembourg depuis cette date. Le Tribunal lui est adjoint en 1988 et siège également à Luxembourg.
Le traité sur l’Union européenne est signé à Maastricht le 7 Février 1992. C’est une avancée importante, établissant des règles claires pour la monnaie unique, la politique étrangère et de sécurité et une coopération plus étroite entre états membres pour la justice et les affaires intérieures. L’«Union européenne» est officiellement créée par le traité du 1er Novembre 1993.
C’est en 2009, avec le traité de Lisbonne, véritable fondateur de l’Union Européenne dans sa forme actuelle, que la Cour des Communautés Européenne deviendra l’actuelle Cour de Justice de l’Union Européenne.
Ce traité fut une étape majeure pour la Cour, qui voit son rôle renforcé et clarifié. Elle est dotée de la personnalité juridique et comprend la Cour de Justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction Publique (tribunal spécialisé supprimé en 2016). C’est l’autorité judiciaire suprême de l’Union européenne qui veille, en collaboration avec les juridictions des États membres, à l’application et à l’interprétation uniforme du droit de l’Union. C’est elle qui contrôle la légalité des actes des institutions de l’Union, veille au respect par les États membres des obligations qui découlent des traités, et interprète le droit de l’Union à la demande des juges nationaux. La Cour est la dernière référence consultable à l’intérieur de l’Union. Elle est donc beaucoup sollicitée pour trancher des litiges entre particuliers et États membres et aussi entre deux ou plusieurs États. De façon plus exceptionnelle elle peut être amenée à traiter des recours directs de particuliers, si le Tribunal l’a jugé nécessaire.
Elle est une institution multilingue (26 au total, chacune pouvant être employée selon la langue des présidents de sessions). Le Français reste la langue des délibérations.
Depuis le traité de Maastrich 02.1992, les institutions de l’Union sont:
Le Conseil européen,
La Commission européenne,
Le Conseil de l’Union européenne (ou “le Conseil”),
Le Parlement européen,
La Cour de justice de l’Union européenne, (incluant le Tribunal)
La Cour des comptes,
La Banque centrale européenne, (n’intervient que sur les questions concernant l’Euro)
Aujourd’hui, la Cour de Justice de l’Union s’est développée avec l’agrandissement de l’Union. Plusieurs bâtiments ont été construits sur le site de Luxembourg et on note une augmentation conséquente de ses effectifs et de son budget :
– Tribunal : 54 Juges et 1 greffier
– Cour de Justice 27 Juges, 11 avocats généraux et 1 greffier
– Autre emplois : 2267 personnes
– Services linguistiques : 980 emplois
– Budget : 548 millions d’Euros
En quelques années l’environnement de la Cour a considérablement changé : démographie, nombre des états membres, conditions socio-économiques, géopolitiques, contexte international etc…
L’Europe en 2025 compte environ 450 millions d’habitants dans les 27 états membres, qui sont très différents entre eux :
– démographiquement (de l’Allemagne 84 millions d’habitants, à Chypre 1 million et au Luxembourg 672 000)
– géographiquement (de la France 638 475 km² à Malte 316 km²)
– par le P.I.B. annuel en Euros/habitant (du Luxembourg 124 000 et l’Irlande 104 500 à la Roumanie 18 560)
– sans parler des histoires, traditions, cultures et modes de vie, etc…

2 – Derrière le factuel objectif et brut, une approche plus fine et subtile nous parait nécessaire :
1 – Le traité de Paris de 1951 fonde la cour de Justice Européenne du Charbon et de l’Acier. Nous avons fait l’effort de retrouver ce traité, dont nous livrons quelques extraits ci-dessous, concernant cette Cour :
Article 31
La Cour assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent Traité et des règlements d’exécution.
Article 32
La Cour est formée de sept juges nommés d’un commun accord pour six ans par les gouvernements des États membres parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance et de compétence.
Article 33
La Cour est compétente pour se prononcer sur les recours en annulation pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du Traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés contre les décisions et recommandations de la Haute Autorité par un des États membres ou par le Conseil.
Article 38
La Cour peut annuler, à la requête d’un des États membres ou de la Haute Autorité, les délibérations de l’Assemblée ou du Conseil.
J’ai été surpris par l’important rôle potentiel confié à la cour dés les balbutiements de la création de l’Europe. Celui ci se trouvera confirmé dès l’Arrêt l’Arrêt Van Gend en Loos de 1963, puis par celui de de Costa contre ENEL de 1964.
2 – La cour de Justice Européenne et l’évolution du droit Européen :
Déjà bien pourvue en prérogatives et compétences par le traité de Paris, la Cour va assoir son influence sur les États membres et les Institutions Européennes.
Ainsi en 1963 l’arrêt Arrêt Van Gend en Loos, pris par la Cour va ouvrir le chemin vers le principe de l’effet direct du droit de l’Union européenne qui va s’appliquer et s’imposer à tous les États membres. L’arrêt déboute l’état Néerlandais pour avoir confirmé des taxes de 5% sur des produits venant d’Allemagne en dépit du traité ayant aboli les taxes entre les pays de la communauté. La cour a condamné la Hollande à faire réparation, avec exécution immédiate de la sentence.
Pour renforcer cette façon de procéder, la Cour, dans son arrêt Costa contre ENEL (1964), va ajouter le droit des particuliers et créer le principe de primauté du droit Européen. Celui ci est clairement exprimé dans l’arrêt : » le transfert opéré par les états, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraine donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de communauté « .
Dés les années 60, le droit communautaire est en place. Les états membres ont signé des traités, ils doivent les respecter, ainsi que les directives qui en découlent. Ces directives sont censées faire l’objet d’un processus de transposition par les États membres afin des les appliquer au mieux. En cas de désaccord entre états ou avec des particuliers, c’est le recours ou le renvoi préjudiciel auprès de la C.J.U.E., qui peut trancher et donner un jugement, mais qui dans certains cas ne peut pas se prononcer. Elle retourne donc le problème intact vers le juge national requérant, qui se trouve alors bien embarrassé…
D’où la nécessité de construite des directives inconditionnelles, claires et précises. Le droit direct Européen doit prendre en compte les spécificités nationales par le biais de la transposition et veiller à l’application uniforme des textes, sans aucune discrimination au profit d’un pays.
Plusieurs observateurs on bien noté la subtilité et le savoir faire de la Cour qui a pris soin de ne pas s’exprimer et de laisser « les choses se faire », calmement, sans doctrine ou parti pris, et de garder les yeux ouverts vers le futur, la défense des valeurs et la fidélité aux buts fixés par les traités.

C’est ce qui va influencer ses méthodes d’interprétations, si bien décrites par Koen Lenaerts (son actuel président) et présentées dans son ouvrage que j’ai eu le plaisir de lire et de commenter. Je vous invite à consulter l’article que j’en ai tiré.
Ainsi, après avoir bien pris sa place, sans bruit, mais avec rigueur et intransigeance, la Cour continue de travailler et de s’agrandir. Place est faite aux étudiants, aux visiteurs, aux échanges et à la transparence totale. Elle apparait comme une gardienne rigoureuse de la qualité du droit des citoyens Européens auxquels elle porte grande attention. Nous le ressentons à la lecture de ses arrêts méticuleux, approfondis et justes.
Cependant, reste à voir comment réduire le grand nombre de renvois préjudiciels qui nous ont surpris dans les quelques dizaines de cas de notre première approche….. Il nous semble que ce n’est pas pour demain, et qu’il y a à creuser dans les processus de transpositions.
La France a proposé un » Guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes » qui a fait l’objet d’une Circulaire du Premier Ministre Jean Pierre Raffarin le 27 septembre 2004, relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions Européennes.
Souhaitons, que les efforts déployés pour surmonter ce challenge contribuent à renforcer la cohésion de l’Union Européenne autour de l’harmonisation de son droit….